La valeur pronostique de statut HPV dans les cancers de l’oropharynx ne laisse plus de place au doute. Un article récent du Lancet Oncol apporte cependant des précisions importantes quant à l’importance de la technique d’évaluation du statut HPV ( p16/genetique) sur cette valeur pronostique évoquée. C’est une énorme série rétrospective sur près de 8000 patients compilée par une équipe britannique qui nous est livrée dans cet article et que je propose ici.
Cancers de l’oropharynx et statut HPV : il faut certainement en tenir compte, mais quel est le meilleur biomarqueur ?
Pronostic implications of p16 and HPV discordance in oropharyngeal cancer (HNCIG-EPIC-OPC) : a multicentric, multinational,individual patient data analysis.
Mehanna H et al;, Lancet Oncol 2023 ;24 :239-51
Bases de l’etude :
Le cancer de l’oropharynx voit son incidence augmenter considérablement de par le monde depuis les années 2000 et cela en grande partie de par l’implication du papillomavirus humain (HPV).Pour des raisons uniquement liées à la facilité et généralisation de sa réalisation, la prise de connaissance du statut tumoral pour son imprégnation HPV se fait par la mise en évidence de la proteine p16 ( immunohistochimie, IHC) . L’alternative à cette mesure est la détermination de la présence du virus HPV par techniques génétiques ( ARN , ADN) , plus lourdes, plus coûteuses. Des discordances sont rapportées quant à l’affirmation du statut HPV et des cas non négligeables de tumeurs sont annotées p16+ HPV- et inversement p16- HPV+. L’impact pronostique des cas discordants est sujet à controverse et ce probablement lié au fait d’études insuffisantes en nombre de sujets et très souvent monocentriques.
C’est ce contexte qui a motivé une très grosse étude mixte rétrospective et prospective, multicentrique conduite par une équipe de l’université de Birmingham( UK ) , couvrant la période 1970-2022 et englobant près de 8000 patients avec cancer de l’oropharynx.
Methodes :
Il s’agit d’une étude centralisée sur des données individuelles de patients collectées à partir de 13 cohortes réparties sur les pays suivants : Grande Bretagne, USA, Canada, Danemark ,Suède, France, Allemagne, Pays Bas et Espagne. C’était le résultat d’une recherche sur base de données PUBMED et Cochrane pour ces publications couvrant la période 1970-2022.Les auteurs n’ont retenu que des séries supérieures à 100 patients qu’elles soient rétrospectives ou prospectives. Parmi les critères d’inclusion il y avait pour toutes les tumeurs le statut HPV obtenu à partir du marquage p16 par IHC ou par la génétique HPV ( ADN ou ARN par PCR ou hybridation in situ).La positivité p16 correspondait au marquage p16 d’au moins 70 % des cellules tumorales examinées sur coupe. A noter que l’étude ne prévoyait pas de ré analyse d’échantillons tumoraux pour établir, vérifier le statut p16 des tumeurs considérées. Les traitements des patients étaient soit la radiothérapie, la chimiothérapie, l’association des deux ou les soins palliatifs.
Il y avait deux objectifs à l’étude. Le premier était d’évaluer la proportion de patients dont les tumeurs étaient discordantes quant au statut HPV : IHC p16 / génétique HPV. Le second objectif était la connaissance des survies sans évènement et globales.
Principaux résultats :
Les auteurs sont partis de 883 études issues de l’enquête pour en retenir au final 13 qui correspondaient aux critères de sélection rigoureux. Cela représentait un total de 7654 patients éligibles pour analyses conjointes du statut HPV par IHC ou génétique. L’âge médian était de 60 ans ( 53-67) pour 1940 femmes ( 25.3 %) et 5714 hommes ( 74.7%). Près de 80 % des patients présentaient une maladie localement avancée ( stades III ou IVa-b).
Pour les 7654 patients testés HPV par les 2 méthodes 46.5% étaient p16- HPV – ( doubles négatifs) et 44.3% étaient p16+ HPV +( double positifs). On comptait 3.8 % de cas p16- HPV+ et 5.4% de cas p16+ HPV- .A noter que dans plus de 80% des cas le statut génétique HPV avait été obtenu par technique PCR sur ADN.Les auteurs mentionnaient un impact de l’âge avec les double positifs plus jeunes que les cas discordants eux-mêmes plus jeunes que les cas double négatifs. Les double positifs rassemblaient aussi la plus forte proportion de non buveurs-non fumeurs.
La médiane de survie globale ( médiane de survie sans évènement non atteinte) était de 15 ans pour les double positifs ( reference) comparée à 3.5 ans pour les double négatifs ( HR 4.05, p inf 0.0001). Un point fort de l’étude était de constater que les patients p16+ mais HPV- voyaient leur médiane de survie passer à 6.7 ans ( HR 2.69 , p inf 0.0001) et les p16- HPV+ avaient une médiane de survie à 5.3 ans ( HR 2.36, p inf 0.0001).
Commentaires :
Cette très belle étude bien construite est riche d’enseignements bien que pas à l’abri de critiques. La principale est la non centralisation des analyses à partir de l’envoi d’échantillons tumoraux des patients. Cela aurait limité le facteur variabilité qui est important dans cette étude avec plusieurs centres, plusieurs étapes –évolution de la prise en charge de cette pathologie au fil du temps . Cette étude nous livre au moins 3 messages centraux. Le premier est la confirmation de la valeur pronostique extrêmement forte du statut HPV pour les cancers de l’oropharynx et à l’ère de la désescalade thérapeutique le besoin est évident de marqueurs objectifs capables de designer ou pas les bénéficiaires d’une telle stratégie.
L’autre message est que le prise en compte quasi générale du statut HPV par la mesure (semi)quantitative IHC de la proteine p16 n’est pas à l’abri d’une imprécision quant à son pouvoir pronostique. L’étude nous dit effectivement qu’ils existe des discordances d’évaluation du statut HPV entre les techniques et nous révèle en particulier la présence non négligeable de cas p16+ HPV génétique – qui ont une évolution de leur maladie beaucoup plus défavorable que les double positifs ( écart marqué des HR). Ces résultats appellent la recherche d’explications mécanistiques pour les caractéristiques liées au statut HPV . On peut estimer par exemple que pour les cas discordants p16+ HPV-, la présence de la protéine p16 ne serait pas liée à l’imprégnation virale HPV mais à d’autres facteurs prédisposants liés à un dérèglement génétique impliquant la voie RB ,notamment. Enfin cette discordance dans le statut HPV à conséquence pronostique ici indiscutable devrait amener les investigateurs , en particulier pour la conception d’essais thérapeutiques décisifs pour la pathologie, à intégrer la notion d’une estimation du statut HPV autrement que par la très utile ,facile ,généralisable analyse IHC et y adjoindre un parallèle analytique impliquant des techniques génétiques .