Voici un nouvel article commenté. Il contraste avec les articles habituels sur données rapportées, et donne une réflexion générale et originale. Il provient du no de Dec 2022 de Nat Rev Immunol. Les auteurs se sont donnés pour objectif, à travers une dense revue ,de mettre en parallèle des observations issues de l’écologie (scientifique, il y en a …), et ce concernant les interactions entre prédateur et proie et celles entre cellule immunitaire et cellule tumorale. C’est un beau pavé très original et générateur d’hypothèses voire d’explications biologiques mécanistiques intéressantes.
Décrypter les messages de la nature : quand les interactions prédateur/proie éclairent celles entre cellules immunitaires et cellules tumorales .
Tumor immunotherapy : lessons from predator-prey theory
Hamilton P.T.et al. Nature Rev Immunol Vol22,Dec 2022 765-75
Bases de l’étude : Les auteurs observent que le microenvironnement tumoral (MET) est semblable à un espace écologique dans lequel interagissent prédateurs et proie. En l’occurrence les prédateurs sont vus ici comme les cellules de l’immunité infiltrées dans le MET qui ont pour proie désignée la cellule tumorale. Le bilan on le sait n’est toujours pas au profit des prédateurs dans le MET. Des siècles d’observation écologique ont forgé des notions très précises de la vulnérabilité variable de la proie vis-à-vis de son prédateur , avec des scénarios modélisés, des exemples plus ou moins couronnés de succès d’interventionnisme . C’est un parallèle évocateur avec l’application dans le MET des modulateurs de la réponse anti tumorale immune tels que nous les connaissons désormais avec les inhibiteurs du point de contrôle (IPC) .Cette immunothérapie révolutionnaire a apporté , et apporte toujours, des avancées spectaculaires mais qui restent relativement limitées en fréquence , volume et maintien dans le temps . La volonté des auteurs a été ici de dresser ce parallèle très stimulant entre les interactions prédateur/proie et celles des cellules immunitaires / cellules tumorales afin de déboucher sur des propositions de modifications-optimisations de schémas thérapeutiques dans le cadre de l’immunothérapie par IPC.
Principales observations :
-La dynamique prédateur-proie et l'immunité :
Les auteurs soulignent la notion de durée d’action qui sous-tend l’interaction entre le prédateur et sa proie et qui a pour conséquence que lorsque la densité de la proie augmente , le nombre de proies tuées par le prédateur augmente jusqu’à atteindre un plateau , cette situation définit une durée d’action. Les auteurs observent que cette durée d’action est un élément fondamental pour l’interaction prédateur /proie et également en parallèle pour celle qui existe entre les lymphocytes T cytotoxiques , LTC, ( prédateurs) et les cellules tumorales ( proie). A telle enseigne qu’in vitro le temps nécessaire aux LTC pour lyser les cellules tumorales n’est que de quelques minutes alors qu’in vivo il est de 6 heures en moyenne. A la durée d’action est reliée la notion de réponse fonctionnelle. Là encore les auteurs notent que , dans un écosystème, cette réponse fonctionnelle du prédateur par rapport à la proie est conditionnée par la réaction collective des proies manifestant des mécanismes défensifs et d’avertissement aux congénères. Ce type de comportement est également observable dans le MET où les cellules tumorales libèrent un large éventail de molécules immunosuppressives ( TGFb,adénosine, lactate..) qui peuvent générer des bénéfices collectifs protecteurs aux cellules tumorales voisines .Les auteurs émettent une réserve quant à la capacité non démontrée des cellules immunitaires d’agir en conjonction pour aboutir à une élimination optimale des cellules tumorales alors que dans la nature une connivence entre prédateurs est de mise afin d’optimiser la capture des proies. Une exception étant la production d’anticorps par les B lymphocytes venant compléter l’action des LTC et selon un large gradient de densités de cellules tumorales .
Les auteurs abordent également la notion importante de la compétition. En effet on perçoit sans difficulté le fait que dans le MET il existe une compétition pour l’accès aux nutriments tels que le glucose et les acides aminés et autres substrats entre les cellules immunes et les cellules tumorales. De la même manière il existe dans la nature une compétition dite intraguilde et qui concerne les membres d’une même espèce qui partagent les mêmes ressources limitées. Des modèles mathématiques ont été développés et montrent que les cellules tumorales peuvent échapper au contrôle immunitaire simplement en dépassant les cellules immunes dans l’accès aux ressources vitales communes ,ce qui peut aboutir au scenario et une nouvelle conception des tumeurs froides (excluant les infiltrats lymphocytaires ) et connues comme étant relativement réfractaires au traitement par IPCs . Les auteurs évoquent aussi la notion d’interférence prédateur-proie quand le prédateur agit en dehors du périmètre d’interface défini entre la proie et son prédateur . Ils dressent un parallèle intéressant avec la mobilité qui existe pour les cellules immunes entre différents sites métastatiques d’une maladie évolutive et soulignent à juste titre le faible niveau de connaissance que nous avons sur l’impact de ces échanges sur la dynamique et l’efficacité de la réponse immune. Ils soulignent que nous connaissons peu en définitive les base de l’effet abscopal et ses implications quant à l’origine immune précise de ce phénomène radio induit .
Biodiversité et hétérogénéité intratumorale sont deux éléments déterminants pour la survie des proies respectives dans leur environnement et les auteurs n’ont pas manqué de le souligner et d’étudier le parallèle et les conséquences . Il est un fait que la diversité au sein d’un écosystème est une caractéristique favorable qui procure de la résilience par rapport à la perturbation provoquée par le prédateur et révèle le bénéfice de la variabilité génétique pour alimenter l’évolution adaptative. De la même façon il a été noté que les tumeurs dites immunologiquement chaudes ont un niveau élevé d’infiltrat lymphocytaire tout en montrant une plus faible hétérogénéité intra tumorale que les tumeurs dites froides et qui excluent, relativement, l’infiltration lymphocytaire cytotoxique. Sous l’angle du prédateur la diversité des proies diminue automatiquement la densité des proies adaptées et affecte ainsi le taux de prédation. D’une manière similaire des études récentes ont , selon les auteurs, révélé que la présence de neoantigènes clonaux ( présent sur toute la population tumorale) ou celle en contraste de neoantigènes subclonaux ( concernant uniquement une fraction des cellules tumorales ) impactaient différemment la réponse immune en faveur de la situation où cette subclonalité est la plus faible ( cancers du poumon et mélanomes traités par IPC) .Les auteurs commentent à ce titre une étude très récente parue dans Cell (Wolf et al., 2019) où les auteurs sous l’effet des UVB génèrent sur l’animal de laboratoire des mélanomes à diversité mutationnelle variable et où les tumeurs les plus hétérogènes étaient celles comportant les MET les plus « froides » associées à une progression accrue. Dans ce même article de Cell cité , les auteurs prolongent leurs investigations par une méta analyse pour des patients porteurs de mélanomes et concluent à une moindre efficacité des ICPs pour les tumeurs à haut niveau de diversité de mutations clonales.
Implications pour l’immunothérapie antitumorale :
Dans la nature il existe une phénomène appelé vortex d‘extinction qui est en rapport à la taille des populations et où les plus petites en nombre montrent une moindre adaptabilité en rapport à la survenue de mutations . On comprend que les populations à nombre réduit de sujets ont une moindre chance de corriger une mutation délétère à travers la sélection naturelle . De même on considère que les cancers à taux élevé de mutations se trouvent dans le même contexte de vortex d’extinction et on observe que ces cancers à haut taux de mutations sont de meilleur pronostic. Cependant il est difficile de distinguer la part de la production de neoantigènes liés au fort taux de mutation, part qui génère une réaction anti-tumorale immune proportionnelle de celle de l’histoire naturelle de la maladie pour ces tumeurs fortement mutées. Le lien entre charge mutationnelle tumorale et réponse aux ICPs n’est pas des plus établis et les auteurs suggèrent d’approfondir les connaissances entre les caractéristiques non immunologiques des tumeurs fortement mutées afin d’aboutir à des stratégies originales et à un meilleur rationnel pour l’application de l’immunothérapie des cancers seule ou en association. De plus les principes de l’écologie projetés au cancer et sa MET suggèrent que la dynamique d’interaction entre les cellules immunes et les cellules tumorales diffère substantiellement entre les tumeurs de petit et celles de gros volume et que notre connaissance à ce titre est relativement limitée. Le recours aux biopsies liquides est une option à ne pas négliger à ce niveau bien que , comme le souligne les auteurs, le lien informationnel relativement distendu entre la MET et les informations tirées des biopsies liquides soit loin d’être évident. Une meilleure connaissance de la vulnérabilité thérapeutique des tumeurs de petit volume viendra aussi d’essais d’immunothérapie sur un grand nombre de sujets en favorisant la base la plus large possible d’analyses translationnelles. Les auteurs soulignent également que le recours à l’utilisation en immunothérapie des cancers de modèles issus de l’écologie et de l’évolution pourraient modifier favorablement les schémas traditionnels d’application du traitement en tenant davantage compte deschangements en temps réel de la cible tumorale et de la manifestation d’une vulnérabilité immunologique variable dans le temps .
Pour finir, élégamment, les auteurs appuient sur la notion d’extinction des espèces dont l’origine est rarement attribuable à l’action ciblée de simples prédateurs mais plutôt à des phénomènes multiples et complexes modifiant profondément l’écosystème. Cette vision s’accorde avec la fonction élargie des cibles CTLA4 et PD1-PD-L1 dont les effets du ciblage par les ICPs vont au-delà de la simple réactivation de l’activité des T lymphocytes . Par exemple PD-L1 est exprimé non seulement par les cellules tumorales mais également par les cellules dendritiques et aussi les macrophages au sein de l’écosystème de la MET .PD1 participe par ailleurs à la communication moléculaire entre les T Helpers, les lymphocytes B. Donc l’implication de ces cibles multiples des ICPs dans la manifestation finale de leur activité antitumorale est certainement à prendre en compte et élargit notre vision d’une activité des ICPs à un réseau global interactif de cellules immunes multiples avec des effets directs et indirects.
Commentaires :
Cette longue réflexion que nous livre les auteurs s’inscrit de manière originale dans le contexte un peu en surchauffe actuellement de l’immunothérapie des cancers , en particulier par ICPs et le rôle joué par la MET dans ce contexte . Ce parallèle tenté entre les 2 mondes de l’interaction prédateur- proie dans les écosystèmes et celui entre les cellules de l’immunité et les cellules tumorales dans la MET est séduisant et générateur d’idées quant à l’optimisation de l’immunothérapie en tenant compte de composantes de la réponse un peu négligées telle que l’évolution de l’effet du traitement et du positionnement des acteurs cellulaires dans le temps, par exemple. Il faut retenir également la suggestion du distinguo à faire dans la réponse au ICPs en prenant en compte la paramètre taille tumorale. Bien entendu ce parallèle a ses limites en particulier le fait que la réponse immune n’est pas réellement prouvée comme étant la résultante d’un faisceau d’acteurs cellulaires coordonnés alors que dans la nature le rapport prédateur –proie est bénéficiaire au prédateur lors de l’attaque en meute organisée de la même espèce. Au total cette initiative des auteurs n’est certes pas totalement parfaite pour l’exactitude des parallèles dressés mais elle vaut surtout par les perspectives stimulantes qu’elle ouvre au niveau de l’élaboration de protocoles nouveaux en immunothérapie par CPIs ,en particulier.