Dans la suite d’un article précédemment commenté en rapport aux effets inattendus des édulcorants sur le microbiome, la prestigieuse et non moins exigeante revue Nature, en son dernier no de mars 2023, édite un article qui examine de près , sur un modèle animal, les effets du bien connu sucralose ( Canderel pour ne pas le nommer) sur la fonction immunitaire et tout particulièrement sur le chef d’orchestre qui en est le T lymphocyte. Une étude complète, complexe qui nous éclaire encore un peu plus sur les effets inattendus des édulcorants sans pour autant vouloir tomber dans un catastrophisme exagéré et hors de sens scientifique.
Edulcorants, la note peut devenir salée !
The dietary sweetener sucralose is a negative modulator of T cell-mediated responses
Zani F . et al., Nature vol 615,23 March 2023,705-711
Bases de l’étude :
Le sucralose est un édulcorant artificiel non calorique parmi les plus utilisés et qui est 600 fois plus sucré que le sucre. Il est un fait actuel de plus en plus visible que la sécurité de l’utilisation des édulcorants artificiels provoque de nombreux questionnements, voire , à la connaissance de certains travaux récents , des inquiétudes sur les répercussions possibles sur l’organisme et au final la santé humaine. Le travail ici publié est le fruit d’une collaboration entre une chercheuse canadienne, Julianna Blagih (université de Montréal) et une équipe de l’institut Francis Crick (Karen Vousden) . Ensemble, ils se sont penchés sur le fait étonnant que certains travaux montraient que le sucralose, à des doses élevées pouvait montrer tout à la fois des effets pro-inflammatoires ou à l’opposé des effets anti-inflammatoires. Les auteurs ont examiné la question en terrain expérimental ,explorant la fonction immunitaire, tout à la fois in vitro et également in vivo sur l’animal de laboratoire et ce en utilisant les doses maximales quotidiennes approuvées par les autorités de santé américaines ( FDA) et européennes ( EFSA).
Principaux résultats :
Dans leur approche expérimentale les auteurs ont donc pris soin d’appliquer le sucralose , que ce soit in vitro ou in vivo sur modèle animal, à des concentrations qui soient compatibles avec le maximum établi par les autorités de sante internationales , c’est à dire 15mg par kg donnant des concentrations de l’ordre du micro molaire et au-delà.
Impact du sucralose sur les lymphocytes T :
Après une première exploration de l’impact in vivo du sucralose sur différentes populations cellulaires de l’immunité ( essentiellement macrophages, cellules NK , lymphocytes B et T) les auteurs ont identifié une action sélective négative de cet édulcorant sur l’homéostasie des lymphocytes T .Les auteurs ont ensuite exposé des lymphocytes murins à des quantités croissantes de sucralose et constaté un effet inhibiteur dose-dépendant sur les cellules T CD4+ et CD8+. A noter que les effets du sucralose étaient spécifiques vis-à-vis de ce composé et ce en comparaison au sein de la famille des principaux édulcorants ,mis en comparaison.
Les auteurs ont ensuite montré que cet effet antiprolifératif du sucralose sur les cellules T était dépendant de l’activation par son récepteur TCR et non pas par une induction liée à l’IL2. Cependant il n’y avait pas de fixation constatée du sucralose au TCR. Les expériences qui ont suivi ont donc logiquement exploré la signalisation intracellulaire lymphocytaire sous la dépendance du TCR et mis en évidence un retard significatif généré par le sucralose sur la phosphorylation de la phospholipase C gamma 1 . Etonnamment cette action du sucralose se faisait alors que ce composé n’était pas absorbé par la cellule T. L’explication résidait dans la démonstration apportée par les auteurs d’un effet du sucralose sur la fluidité de la membrane cellulaire en rapport à un impact sur les lipides constituant cette structure cellulaire. La conséquence étant une réduction de l’accroche membranaire cellulaire de la phospholipase et de sa localisation à proximité du TCR et de là compromettant la signalisation TCR dépendante.
Effets in vivo :
Les auteurs ont utilisés différents modèles de tumeurs murines in vivo ( lymphome EL4, tumeur pancréatique Pdx1-Kras G12D) et ont identifiés un déficit en infiltrats tumoraux de T lymphocytes et une moindre production intra tumorale d’interféron gamma dans des conditions expérimentales d’exposition au sucralose dans l’eau de boisson des animaux ( 0.72 mg par ml) . Ce phénomène de d’attaque immunitaire amoindrie sous sucralose était accompagné d’une plus forte croissance tumorale en comparaison aux animaux contrôles.
L’impact du sucralose sur le fonctionnement des T lymphocytes a aussi été examiné par les auteurs dans des conditions expérimentales de développement de maladie auto immune ( ici un diabète de type 1 chez la souris femelle ( NOD/ShiLt)provoquée spécifiquement par une attaque des ilots pancréatiques par les lymphocytes T entre la 12 ième et 30 ième semaine de vie des animaux. Dans ces conditions bien cadrées l’administration de sucralose aux animaux diminuait significativement la survenue du diabète .
Commentaires :
Pour se remettre dans le contexte du sucre, ces résultats sont-ils à prendre avec des pincettes ? Oui et non. Oui à plusieurs niveaux, d’abord les auteurs ont placé leur méthodologie dans une modèle expérimental qui a ses propres limites et qui bornent les conclusions, on n’est pas chez l’homme, les concentrations de sucralose étudiées sont à la limite des doses réalistes chez l’homme . Non car l’impact parfaitement bien démontré du sucralose sur la fonction immunitaire et tout spécifiquement le fonctionnement même des lymphocytes cytotoxiques de type T doit nous interpeller. Certes les conclusions rapportées offrent une double lecture avec l’effet négatif du sucralose sur les lymphocytes T qui pourrait atténuer les effets d’une maladie auto-immune comme ici un diabète expérimental de type 1 et ce même effet délétère du sucralose sur les lymphocytes venant à l’opposé favoriser le développement tumoral par insuffisance de défense immunitaire dans le contexte de l’installation de la maladie.
Au final on retiendra surtout que cette étude apporte des informations complémentaires et objectives au fait que les édulcorants sont loin d’être inerte en dehors de leur impact nutritionnel et peuvent affecter la santé humaine. Des preuves plus formelles des conclusions ici rapportées sont bien entendu souhaitables chez l’homme et la rigueur de cette étude et les conclusions qui en ressortant nous y encouragent fortement.