Article commenté par Gérard Milano
Fletcher-Sananikone E et al; Cancer Res 81(23),2021 :5935-5947
Bases de l’etude : Ce travail est issu d’une étude préclinique réalisée sur une base multicentrique et impliquant plusieurs équipes nord-américaines de radiothérapeutes, de neurologues, de biochimistes et biologistes du cancer.
Le point de départ est le constat de la récidive tumorale quasi inéluctable suite aux approches thérapeutiques combinant RT et chimio par temozolomide dans le prise en charge des glioblastomes. La tumeur qui rechute est en général plus agressive et réfractaire aux traitements cytotoxiques. La réintroduction de la RT et la chirurgie restent une option valable mais l’attente va au-delà et n’a pas pour le moment de réponse formelle. Les auteurs ont orienté leur recherche sur le phénomène de senescence qui est un arrêt de prolifération cellulaire sans effet cytolytique et qui repose sur une atteinte irréversible de l’ADN , sur un stress oxydatif, voire également un raccourcissement des télomères . L’activation de signaux cellulaires est généralement associée à ce phénomène de senescence et implique plus particulièrement le réseau p53-p21 de suppression de tumeurs qui contrecarre en principe toute expansion de cellules pré cancéreuses. Cependant des travaux récents ont révélé que cet état cellulaire de senescence ( touchant non seulement les cellules tumorales mais aussi et surtout le microenvironnement tumoral) pouvait être néfaste vis-à-vis de l’induction de prolifération tumorale dans le sens où les cellules sénescentes se montrent capables de revêtir une caractéristique sécrétrice de facteurs d’activation de la prolifération tels que des cytokines, des facteurs de croissance , des facteurs constitutifs de la matrice extracellulaire.
C’est exactement dans ce contexte que les auteurs inscrivent leur étude en interrogeant la place de la RT comme facteur provoquant la senescence dans le cadre de l’irradiation des glioblastomes et de l’impact sur les astrocytes avec des prolongements touchant à la mise en place de traitements médicaux innovants susceptibles de limiter, voire de prévenir cet effet délétère .
Methodes : Les auteurs ont utilisé un modèle orthotopique de souris avec glioblastomes implantés par voie chirurgicale ( modèles GL 261, CT2A et NS2262 ). La RT était appliquée au débit de dose de 19.5 Gy/min et 10Gy de dose totale. Les auteurs ont également eu recours à des astrocytes de souris isolés et cultivés in vitro . Sur cette base préclinique associant investigations in vitro et in vivo les auteurs ont déployé différentes méthodes analytiques complémentaires impliquant l’histologie, l’immunohistochimie , la biochimie , la biologie moléculaire et la pharmacologie.
Resultats : Les auteurs ont d’abord mis en évidence qu’une pré irradiation de l’encéphale avant implantation tumorale favorisait significativement la croissance de glioblastomes inoculés 30 jours après la RT .L’impact touchait non seulement la vitesse de croissance mais également le caractère infiltrant des tumeurs implantées. En corolaire la survie des animaux était significativement diminuée.
L’examen immunohistochimique de marqueurs signant la senescence ( p21 et perte de lamine nucléaire B1 ) .En complément des résultats de RNA seq ont complété ces observations avec la mise en évidence de l’accroissement dans le tissu cérébral pré irradié de nombreux gènes associés au phénotype sécrétoire associé à la senescence. Treize de ces gènes étaient tout particulièrement augmentés dans les astrocytes dont un accroissement du facteur de croissance HGF dont on connaît l’effet de stimulation de croissance sur de nombreuses tumeurs , en particulier les glioblastomes. Des manipulations génétiques (invalidation génique) ont permis de compléter ces données en montrant que ce phénomène de stimulation de la senescence était dépendant de la voie p21.
Un certain nombre de composés sont actuellement en développement qui permettent de cibler préférentiellement les cellules sans affecter les cellules en prolifération ou au contraire quiescentes. Parmi ces composés l’ABT -263 ( navitoclax)qui passe la barrière hémato encéphalique et qui a fait preuve d’efficacité dans le cadre de l’élimination d’astrocytes sénescents ( modèle expérimental d’ Alzheimer) .Un prétraitement par ce composé annulait pratiquement l’effet d’une pré irradiation sur la prolifération de glioblastomes greffés en impactant sur le phénomène de senescence induit sur les astrocytes par la préirradiation.
Commentaires : Cette étude met l’accent sur le microenvironnement tumoral et son interaction avec la RT . Cette étude ne révèle pas cet impact de la RT sur ce microenvironnement dont la littérature nous avait antérieurement rendu compte . En revanche nous avons là un éclairage mécanistique fort intéressant puis qu’il met en évidence des facteurs moléculaires induits par la RT sur les astrocytes et responsables d’un effet stimulant la prolifération des cellules tumorales au sein des glioblastomes avec en particulier la sécrétion du HGF. Une ouverture concrète vers l’exploitation thérapeutique de ces observations réside dans la mise en évidence des effets bénéfiques du navitoclax capable de s’opposer aux effets inducteurs de senescence générés par la RT. Une des limites de cette étude est l’absence de suivi à long terme en particulier lors de la co-administration du navitoclax avec la RT et la survenue inévitable de rechutes tumorales prévisibles dont les outils analytiques dont disposaient l’équipe auraient sans doute permis de décortiquer le ou les mécanismes responsables sous-jacents.