Genomic characterisation of metastatic patterns from prospective clinical sequencing of 25,000 patients
Nguyen B. et al. Cell (2022) 185,563-575
Bases de l’etude : Force est de constater que la plupart des décès par cancers sont le fait des évolutions vers les stades métastatiques et que très peu est connu à ce jour sur les déterminants génomiques du processus métastatique.Certes l’on sait que la répartition des sites métastatiques selon les tumeurs ne se fait pas par hasard et dépend de facteurs tels que le site anatomique , le type cellulaire d’origine, le sous-type moléculaire , parmi d’autres. De plus des causes indépendantes à la tumeur elle-même peuvent être evoquées avec le traitement appliqué, le microenvironnement du site métastatique ainsi que le profil des cytokines circulantes. Tout cela s’englobant sous la notion de « seed and soil « avancée il y a …plus d’un siècle.Cependant beaucoup reste à savoir à la lumière de la génomique et ce sur l’interface tumeur primitive/potentiel métastatique ainsi que sur le mode de propagation métastatique vers un organe donné.
C’est, guidés par ces objectifs , que les auteurs du Memorial Sloan Kettering de New York se sont attaqués à cette méga étude reposant sur une base de données regroupant plus de 25 000 patients comportant pour chacun des annotations cliniques et une caractérisation génomique sur la tumeur primitive et sur le/les sites métastatiques.
Methodes : La cohorte de plus de 25 000 patients a été dénommée MSK-MET . Tous les échantillons tumoraux ont fait l’objet d’un séquençage ciblé ( 341-468 gènes d’intérêt pré selectionnés) et non pas un séquençage total du génome ou des exomes , ce qui constitue en soi une limite et sur laquelle nous reviendrons. En dehors des analyses de mutation étaient également pratiquées des analyses génomiques telles que la charge mutationnelle , l’altération globale du génome ( en particulier n de copies) et l’instabilité microsatellitaire. Un total de 25775 échantillons tumoraux ont été analysés couvrant 50 types tumoraux sur la période 2013-2020.
Resultats :
-La cohorte MSK-MET : Soixante et un pour cent des échantillons constituaient des tumeurs primitives. Si une tumeur donnée comportait plusieurs prélèvements un seul d’entre eux était analysé afin de ne pas introduire de déséquilibres. Pour les sites métastatiques on dénombrait 23 % de ganglions, 23% pour le foie, 10 % pour les poumons et 7 % pour les os. Sans surprise les echantillons des métastases avaient reçu une intensité thérapeutique supérieure aux primitifs ( 39%vs 15%). L’âge median des patients était de 64 ans ( 33-70).Le suivi médian des patients était de 30 mois et la survie à 5 ans était de 40% .Il y avait une médiane de 4 évènements métastatiques par patient.
-Differences genomiques entre tumeur primitive et metastases : Pour 16 types tumoraux les métastases montraient davantage d’instabilité chromosomique ( en particulier pour les cancers de l’endomètre) .La charge mutationnelle était supérieure pour les métastases dans 10 types tumoraux et en particulier pour les cancers du poumon et les cancers du sein ER+/HER2 –de type ductal et les lobulaires.Parmi les gènes altérés ressortait en tête TP53 plus fréquemment muté dans 7 types tumoraux ( adénocarcinome pulmonaire, adénocarcinome prostatique, cancer du sein ductal ER+/HER2-, cancer colorectal MSS, cancer du sein lobulaire, cancer du pancréas, cancer de l’endomètre).Une exception notable, les cancers ORL , avec des mutations TP53 plus fréquentes dans les primitifs. Après TP 53 suivaient par ordre décroissant ( sup meta / primitif ) les délétions CDKN2A puis délétion de PTEN et enfin l’amplification de MYC. Parmi les différences les plus hautement significatives étaient les différences reliées à la résistance thérapeutique soit les mutations AR dans le cancer de prostate et les mutations ESR1 dans le cancer du sein. Les auteurs attribuent , à juste titre, ces différences à une sélection positive car liée au traitement avec dans la grande majorité des cancers de la prostate et des cancers du sein une administration hormonothérapie. Globalement ces données montrent une plus grande instabilité chromosomique pour les métastases et indiquent que les mutations pour des gènes actionnables sont multiples en fonction des localisations et en général plus fréquentes dans les métastases par rapport à la tumeur primitive.
-Différences genomiques entre les tumeurs primitives qui vont ou ne vont pas métastaser : Les auteurs ont ainsi pu comparer 11.942 échantillons de tumeurs primitives de patients métastatiques à 3690 échantillons tumoraux primitifs de patients non métastatiques. Globalement les altérations du genome étaient rencontrées plus fréquemment dans les tumeurs primitives des patients métastatiques. La charge mutationnelle était également supérieure dans les primitifs des patients métastatiques avec avec ,ici encore , les cancers ORL faisant exception ( plus faible pour les primitifs des patients métastatiques) .Parmi les mutations celle de TP53 se retrouve avec une plus grande fréquence de mutations dans les primitifs des patients métastatiques .Il y a également les mutations de TERT ,l’amplification de MYC et les mutations de PIK3CA qui se manifestent de la même manière selon les tumeurs considérées. Globalement une plus grande instabilité chromosomique est présente dans la tumeur primitive qui sous-tend une évolution métastatique et plusieurs mutations de gènes actionnables peuvent prévenir du risque métastatique.
-Profil genomique et extension metastatique : Le paramètre le plus clivant pour la prédisposition à l’extension métastatique était l’instabilité chromosomique en corrélation positive et ce dans une majorité de cancers (exception notable pour les cancers colorectaux) . Ce n’était pas le cas avec la charge mutationnelle qui ne montrait aucun lien dans ce cadre. Pour les profils mutationnels , c’est encore une fois TP53 qui émerge ici avec une association positive entre la présence de mutations et le volume métastatique et ce pour le cancer de prostate, les cancers du poumon et les cancers du sein ER+/HER2-.A noter que des mutations de certains gènes fonctionnaient en sens opposé ( liées à un moindre volume métastatique ) soit FOXA1 dans le cancer de prostate, CBFB dans les cancers du sein ER+/HER2-, CDH1 dans les cancers du sein lobulaires et ERCC2 dans le cancer de la vessie.
-Alterations genomiques des metastases et organes atteints : l’altération globale du génome était significativement plus importante dans les métastases cérébrales des patients avec cancer du poumon, cancer colorectal MSS et mélanome à l’inverse des métastases ganglionnaires pour les patients avec cancer du poumon, cancer du pancréas, cancer de vessie et mélanome. Pour les mutations de gènes oncogéniques on retrouve TP53 avec une fréquence élevée de mutations dans les métastases cérébrales des cancers du poumon et pour les métastases hépatiques des cancers du pancréas ; à l’inverse une moindre fréquence de mutations TP53 était observée dans les métastases pulmonaires des cancers de vessie et dans les métastases hépatiques de cancers du poumon neuro endocrines. Ce phénomène de fréquence d’altération génétique opposée selon les sites métastatiques et les tumeurs d’origine était aussi observé pour la délétion du gène CDKN2A.
-Profils génomiques et atteintes métastatiques par organe : Les auteurs ont examiné le lien entre les altérations du génome de la tumeur primitive des patients métastatiques et l’atteinte métastatique selon les organes. L’altération globale du génome orientait plutôt vers le foie les métastases des cancers du pancréas, les cancers du sein ER+/HER2-, les cancers de prostate et les cancers ORL, vers le poumon pour les cancers de l’endomètre et les mélanomes et vers l’os pour les cancers du sein ER+/HER2- de type ductal et les cancers de prostate .Les auteurs ont identifié 57 atteintes génétiques somatiques associées à des extensions métastatiques spécifiques et ce pour 10 types tumoraux différents. Parmi les cancers les plus fréquents le cancer de prostate développant des métastases osseuses se caractérisait par une fréquence élevée d’amplification d’AR et de délétion de PTEN. En accord avec les connaissances acquises, le cancer du sein ER+/HER2- de type ductal portant une fréquence élevée de mutations ESR1 allait développer préférentiellement des métastases hépatiques.
Commentaires : On fait incontestablement face ici à un travail considérable classé comme article « Resource » par la revue Cell. Pour autant et sans surprise on retrouve des informations de base sur la génomique et la maladie métastatique à savoir par le rôle de l’instabilité génétique et la place prépondérante des mutations du gène TP53 .En arrière-plan à ces altérations se déroule le scénario connu de l’hétérogénéité clonale tumorale associé à son évolution. Cette étude est également et surtout génératrice d’hypothèses. En particulier au plan des altérations génomiques reliées à un organotropisme métastatique et selon le type tumoral de départ. Cela permet une projection de l’étude vers des applications concrètes et des cibles thérapeutiques potentielles. Cette etude génère aussi beaucoup de frustrations. Tout d’abord elle met en exergue TP53 dont on sait hélas sa faible capacité au ciblage thérapeutique. Ensuite cette étude n’a pas disposé des outils les plus performants pour réaliser l’analyse des mutations. Elle se borne à une quantité limitée de gènes explorés alors que ce matériel biologique exceptionnel demande actuellement de procéder à des études génétiques au minimum de type tout exome. Egalement une part de suivi longitudinal basé sur les explorations de type biopsies liquide aurait grandement enrichi l’information ici délivrée. Restons positifs, c’est vraiment un 8000... mais au sommet on reste un peu dans les nuages , d’autres 8000 restent à vaincre et cette ascension est certainement une élément motivant très fort pour les autres alpinistes, à ne pas confondre avec les conquérants de l’inutile...