Article commenté par Gérard Milano
Abou-Alfa G;K. et al. Lancet Oncol (2020) ;21(6),796-807
Contexte : L’isocitrate deshydrogénase IDH1 est une enzyme clé du cycle de Krebs qui convertit l’isocitrate en alpha cetoglutarate. Ce produit réactionnel est substrat de l’enzyme TET2 qui est une oxygénase qui hydroxyle les cytosines méthylées.Il s’agit là d’une fonction essentielle du contrôle épigénétique de la transcription.Une mutation activatrice du gène IDH1 survient en position 132.Cette forme mutée d’IDH1 est capable de transformer l’alpha ceto glutarate en 2 hydroxyglutarate ( 2-HG) qui lui est un inhibiteur compétitif de TET2.Il en résulte la mise en place d’un phénotype d’hypermethylation avec des conséquences favorables à la carcinogénèse. Plus intéressant encore l’alpha ceto glutarate est le substrat de l’enzyme prolyl hydroxylase qui hydroxyle le facteur transcriptionnel très important dans les processus de néoangiogénèse tumorale qui est HIF1 alpha.HIF1 alpha ainsi hydroxylé est catabolisé en continu , dans les conditions d’O2 normales . De ce fait la mutation IDH1 engendre un défaut d’alpha ceto glutarate qui va entraîner une carence de catabolisme d’HIF1,condition métabolique qui va être prise par la cellule pour une condition hypoxique et entraîner des réactions spécifiques en regard (,synthèse de VEGF et neoangiogénèse , entre autres). Notons que neoangiogénèse et hypermethylation se mettent en synergie au regard du développement tumoral et de sa progression. Les mutations d’IDH1 sont rencontrées à faible bruit dans diverses localisations tumorales avec certaines tumeurs cérébrales , des chondrosarcomes, des cancers de la thyroide, les AML et les cholangiocarcinomes de forme intrahépatique ( fréquence non négligeable dans ce cas, 13 à 15%).
L’ivosidénib (IVO)est un « ib » donc un inhibiteur enzymatique de type petite molécule ( prise orale) et de structure apparentée à l’ATP ,caractéristique de la famille( le co-facteur réactionnel d’IDH1 est le NADP). Il inhibe IDH1 de façon reversible.l’IVO a obtenu en 2018 l’AMM dans les LAM et a fait l’objet récemment d’un ET controlé phase III d’enregistrement ici commenté. Ce sont les laboratoires Servier qui détiennent cette molécule ,depuis peu.
Methodes :Il s’agit d’un ET contrôlé phase III en 2 :1 (IVO à 500 mg 28 j par cycle) avec placebo intéressant les cholangiocarcinomes intrahépatiques mutés(NGS) IDH1 prétraités .Il n’a pas fallu moins que 49 hôpitaux spécialisés (Corée,US,Irlande)pour obtenir la population visée soit 230 patients entre 2017 et 2019.la PFS était le critère principal. L’etude incorporait aussi des données PK,PD et de qualité de vie.
Résultats : Au final 185 patients ont reçu soit l’IVO( n=124) ou le placebo ( n=61).La mutation IDH1 prédominante était la R132 C (70%) . Un cross-over était autorisé et 57 % des patients du groupe placebo y ont eu recours. Avec un suivi médian de 6.9 mois pour le PFS un avantage significatif de survie était en faveur du groupe traité HR=0.37 (.25-.54 ) donnant 2.7 mois pour les traités et 1.4 mois pour les placebo. La survie médiane globale était de 10.8 mois pour les traités et de 9.7 mois pour les placebo, mais la possibilité de cross over biaisait ce dernier calcul et les corrections statistiques appliquées donnaient en calcul ajusté 6.0 mois pour les placebo révélant un HR à .46 et p= .0008.Les effets secondaires en rapport au traitement étaient des hyperbilirubinémies pour l’essentiel et quelques rares cas de toxicité cardiaque ( QT allongé).En termes de qualité de vie on notait une mobilité améliorée significativement chez les patients traités et ce dès le 2ièm cycle. Au plan des marqueurs de pharmacodynamie le plus informatif était le 2-HG baissant de 97 % en moyenne au cycle 2 alors qu’il augmentait en moyenne de 47% chez les placebo.
Commentaires : l’administration d’IVO offre un bénéfice incontestable en termes de prolongement d’intervalle libre chez ces patients .En dépit d’un important % de cross over l’application de calculs statistiques ajutés permet de confirmer le bénéfice au niveau de la survie globale. Notons que l’application de l’IVO entraînait surtout une stabilisation de maladie conforme à son mécanisme d’action principal jouant sur les modifications épigénétiques ( modifications cellulaires tumorales en rapport à une différenciation plutôt qu’une cytotoxicité ).Avec la mesure sanguine du 2-HG on dispose d’un marqueur potentiellement intéressant pour le suivi thérapeutique. L’IVO dispose maintenant des 2 AMM , une en hémato et l’autre pour les cholangiocarcinomes intrahépatiques.
La prescription du produit est associée à la preuve de la mutation intratumorale IDH1 ouvrant ainsi de nouvelles perspectives dans le domaine theranostique en pleine expansion .Compte tenu de la difficulté d’accès au matériel tumoral le recours aux biopsies liquides sera très certainement utile dans ce contexte nouveau.