Hulshof E C et al. Eur J Cancer 162( 2022) 148-157
Article commenté par Gérard Milano
Bases de l’étude : On reproche souvent , et à juste titre , aux études pharmacologiques ( pharmacocinétique , pharmacogénétique ) de négliger les aspects pharmaco économiques dans la prise en compte des facteurs analysés qui se bornent le plus souvent à l’efficacité et à la toxicité des traitements. Ici les auteurs hollandais , toujours très pragmatiques, se sont attaqués au sujet du contrôle pharmacogénétique dans le cadre des prescriptions à base d’irinotecan avec un double regard ,à la fois sur les bénéfices en terme de moindre toxicité au traitement mais aussi en bilan des coûts dépenses spécifiques liés au test pour le système de santé /bénéfices patient .Pour revenir sur le contexte de ce médicament il faut rappeler le fait que l’irinotecan nécessite une activation métabolique pour générer sa forme active cytotoxique circulante qui est le SN-38. Ce SN-38 est inactivé, essentiellement au niveau hépatique, par une glucuronyl transferase l’UGT 1A1. Le gène codant pour cette enzyme est polymorphe ( répétitions variables de séquences en zone promoteur) et ses variants ont un impact sur l’activité UGT 1A1 ( niveau d’expression) . Notamment, le variant UGT 1A1 *28 est associé à une faible activité enzymatique ( maladie de Gilbert) et par voie de conséquence à une relative surexposition en SN-38 associée à un risque de toxicité non négligeable. Le génotype UGT 1A1 est des plus aisés, accessible dans de nombreux laboratoires spécialisés et ne fait pas appel aux techniques lourdes de biologie moléculaire. On constate cependant que la prise en compte des caractéristiques UGT 1A1 des patients est rarement considérée avant l’instauration du traitement par irinotécan. Convaincu que l’on manque de preuves cliniquement établies les auteurs sont partis sur une étude prospective englobant au final un nombre conséquent de sujets (404 consécutifs) avec une composante médico-économique bien explorée.
Méthodes : C’est une étude hollandaise prospective, non contrôlée , multicentrique impliquant 4 établissements de soins en oncologie .L’objectif principal était d’examiner l’impact de la stratégie pharmacogénétique sur la survenue de neutropénies fébriles. La comparaison se faisait par rapport aux données consensuelles compilées de la littérature pour les traitements à base d’irinotecan et essentiellement constitué de patients avec cancers digestifs ( pancréas et colorectal) à la dose administrée d’irinotécan de 180mg/m2, le standard .Le genotypage UGT 1A1 avant instauration du traitement permettait d’identifier 3 groupes de patients avec les métaboliseurs lents ( essentiellement les homozygotes 7/7 soit le génotype UGT 1A1*28 ) et les 2 autres catégories classiques avec les intermédiaires et les métaboliseurs rapides. Le but était de réduire de 30 % la dose d’irinotécan pour les métaboliseurs lents et ce en fonction du cumul de connaissances sur les données pharmacocinétiques et cliniques .Une exploration pharmacocinétique en échantillonage limité à 2 points ( 2.5 h et 49.5h) était également associée dans ce contexte. Une analyse de coût était associée en incluant les dépenses imputables au screening , au traitement et sa toxicité.
Résultats : L’étude a porté sur la période mi-2017 – fin 2020 et a concerné 404 patients consécutifs dont 350 retenus pour l’analyse finale ( 50 % de cancers du pancréas et 43 % de cancers colorectaux pour l’essentiel) , âge médian 63 ans ( 57-69)avec 54 % de femmes. Le FOLFIRINOX était la chimio majoritaire .Parmi les 350 patients , 31 soit 8.9% était des métaboliseurs lents et ont donc reçu une dose d’irinotécan réduite de 30 %.La faisabilité du génotypage préthérapeutique était de 99.7 %.Pour l’essentiel des résultats et sur le critère neutropénie fébrile le taux était pour les 2 premiers cycles de 7 % chez les métaboliseurs lents et de 4.1 % pour les 2 autres groupes à métabolisme intermédiaire et haut ( non significatif) .De plus en comparaison aux données historiques sur des populations non génotypées le niveau moyen pour ces patients est de 24 %( p .04).A noter que pour les diarrhées sévères le taux était de 10% pour les metaboliseurs lents , de 22 % pour les contrôles historiques( ns) et de 16 % pour les métaboliseurs intermédiaires et forts de la présente étude ( ns) .
Les données pharmacocinétiques montraient des concentrations circulantes de SN38 non significativement différentes entre le groupe à dose réduite , métaboliseurs lents , et le groupe constitué des autres métaboliseurs intermédiaires et forts .
Enfin , l’analyse de coût ne révélait pas, dans l’analyse globale des frais générés , de supplément conféré par la stratégie pharmacogénétique mais au contraire un gain apporté par la prise en compte du génotypage .
Commentaires : Cette étude bien conduite apporte la preuve du bénéfice pour le patient et pour le système de santé d’une prise en compte du génotype UGT1A1 avec une adaptation de dose pour les métaboliseurs lents . La baisse de dose ne se fait pas au détriment de l’exposition au médicament actif et ceci valide la réduction de 30 %. Ce travail démontre aussi la parfaite faisabilité de la pratique du genotypage pré thérapeutique avec quasiment tous les patients de l’étude en ayant bénéficié .Idéalement ce serait un essai contrôlé qui pourrait strictement valider cette stratégie pharmacogénétique appliquée ici à l’irinotécan. Les auteurs conscients de cet écueil argumentent avec une population estimée à 6000 patients nécessaires pour conduire correctement une telle étude contrôlée.
D’autres attitudes thérapeutiques peuvent être envisageables au regard de la connaissance individuelle du génotype UGT 1A1 comme celle consistant logiquement à augmenter la dose d’irinotécan pour les métaboliseurs forts. Une telle stratégie avait en son temps réuni les investigateurs pharmacologues du CAL de Nice et les oncologues médicaux des Hôpitaux Lyon Sud pour conduire une étude de faisabilité concluante et publiée.