Un article récent publié dans Clinical Cancer Res relance l’intérêt pratique du suivi pharmacocinétique des anticancéreux qui, il faut bien le reconnaître, reste maigre en dehors de l’expérience antérieure à succès des fluropyrimidines et autre carboplatine.
Ce faible rendement a plusieurs explications et une des principales réside dans le fait de la rareté d’essais contrôlés rigoureux évaluant scientifiquement la valeur concrète d’un suivi pharmacocinétique avec adaptation de dose.
Pourtant l’intérêt pour une posologie optimale reste d’actualité au regard des nombreux travaux visant par exemple une désescalade thérapeutique .Ici une équipe multicentrique suisse, autrichienne et allemande se penche sur le cas du cabazitaxel dans le cancer avancé de la prostate et nous démontre au décours d’un essai de phase II contrôlé toute la valeur clinique d’une adaptation de dose du cabazitaxel basé sur la connaissance pharmacocinétique individuelle.
La bonne dose pour le bon patient, l’apport démontré du suivi pharmacocinétique du cabazitaxel dans le cancer de la prostate
Randomized phase II cabazitaxel dose individualization and neutropenia prevention trail in patients with metastatic castration-resistant prostate cancer
Omlin A et al., Clinical Cancer Research 2023 ;29:1887-93
Bases du travail :
Les exemples sont nombreux de publications qui rapportent des relations entre exposition au médicament et sa pharmacodynamie ( réponse, toxicité ) et en restent là sans application concrète et utile pour l’oncologue médical. Les rares exceptions sont celles des fluoropyrimidines que ce soit pour les cancers ORL (expérience forte du CAL Nice) ou les cancers digestifs ( expérience notable du CLCC d’Angers) avec dans les 2 cas des bénéfices démontrés ,de par la conduite d’essais contrôlés rigoureux, en termes de meilleure tolérance et de survie prolongée au bénéfice d’une stratégie d’adaptation de dose basée sur le suivi pharmacocinétique. Ici les auteurs se sont penchés sur le cas du cabazitaxel , un taxane de deuxième génération prescrit dans les cas de cancers de la prostate avancés résistants à la castration et en échec d’un traitement à base de docétaxel .Ils ont mis sur pied un essai contrôlé de phase II visant à ajuster la dose de cabazitaxel (caba) en se fondant sur une connaissance acquise et publiée d’une exposition maximale ( AUC) tolérée et en appliquant soit une réduction de dose soit une augmentation ou aucun changement au regard du profil pharmacocinétique (PK) individuel et ce à la dose de départ de 25mg/m2 toutes les 3 semaines. Un groupe contrôle permettait de peser objectivement les bénéfices de la démarche en termes de tolérance au traitement et de réponse et survie.
Principaux resultats :
Au total l’étude (essai contrôlé de phase II) a concerné une série de 70 patients avec cancer de la prostate métastatiques résistants à la castration en échec au taxotère et s’est répartie en 2 groupes randomisés soit pour recevoir le traitement A standard ( n=40) à savoir le caba à 25mg/m2 toutes les 3 semaines ou le traitement B ( n=33 patients) dose caba ajustée aux cycles 2 ,3 et 5 en se basant sur la connaissance individuelle PK et la tolérance les 2 renseignés au décours du cycle précédant . L’ajustement PK était soit une dose à la baisse, à la hausse ou inchangée et ce par rapport à une AUC ( en trois points 1h,2h et 72 h après administration ) cible connue préétablie, validée . Les 2 groupes A et B étaient bien équilibrés au regard des paramètres cliniques et démographiques habituels pour cette localisation tumorale. En moyenne les patients A et B ont reçu 5.9 et 6.5 cycles de caba , respectivement.
Au plan des doses de caba administrées dans les 2 bras il n’y avait pas de différence globale en intensité entre les deux bras A et B. Le bras B a fait l‘objet pendant le déroulement de l’étude de 129 modifications de doses au total avec des augmentations de dose sur connaissance individuelle PK pour une majorité de 18 des 33 patients , des désescalades pour 4 des 33 patients et des diminutions pour signes toxiques pour 18 des 33 patients , à noter que les mêmes patients du groupe B pouvaient voir leur dose modifiée pour des raisons de caractéristiques PK ou de toxicité ou les deux .La distribution des doses absolues de caba dans la groupe A était de 30 à 64 mg et de 32 à71 mg pour le groupe B. Au total et au regard de l’objectif principal de l’étude il n’y avait pas de différence significative au plan des évènements toxiques entre les patients des groupes A ( 17 % de toxicité significative) et B ( 25 % de toxicité significative). Au final et à ce stade de l’etude et bien que les doses aient été augmentées pour une majorité (18/33 ) de patients du groupe B, cela ne s’est pas traduit par une majoration significative de toxicité en particulier hématologique telle qu’elle est habituellement attendue pour le caba.
Les auteurs ont ensuite examiné l’efficacité thérapeutiques entre les 2 bras et ce en objectif secondaire. Pour le paramètre biologique clé en cette localisation, le PSA, une baisse supérieure à 90% était significativement plus marquée dans le bras B en comparaison au A, bras contrôle. Il n’y avait significativement pas davantage de réponse radiologique en faveur d’un bras par rapport à l’autre bien que des maladies en progression étaient significativement plus fréquentes ( HR à .33, p inf .0001) dans le bras A (61%) en comparaison au bras B ( 31%).La médiane de survie sans évènements était significativement supérieure dans le bras B en comparaison au A avec des valeurs respectives de 9.5 mois et 4.4 mois ( HR à .46, p inf.0001) et il en allait de même pour la survie globale entre les deux groupes . Selon un modèle multifactoriel de Cox incluant les données démographiques et cliniques habituelles en la matière, le seul facteur indépendant impactant significativement les survies était le bras de traitement et ce en faveur du bras B.
Commentaires :
Le message de cette étude est clair, pour le médicament considéré ,le cabazitaxel, et la situation clinique de son utilisation , le cancer de la prostate en deuxième ligne de chimiothérapie , ce médicament se révèle sous exposé aux doses recommandées et une augmentation de dose guidée par la pharmacocinétique visant une AUC cible permet des gains importants d’efficacité et surtout de survie tout en ne majorant pas les effets secondaires. On voit ici , pour rappel, que la notion de traitement personnalisé doit aussi s’appliquer à l’individualisation de la dose tout autant que le choix du médicament sur une cible tumorale de cancérogénèse identifiée comme on l’entend aujourd’hui pour qualifier le traitement personnalisé du cancer.
L’écueil principal du suivi PK est sa lourdeur, pour la patient d’abord et également pour les soignants avec des instructions spécifiques au regard des prélèvements souvent lourdes et difficilement applicables au jour le jour. C’est pour cela qu’il faut aller au-delà de l’AUC cible et se passer des mesures de concentrations du médicament. Comment ? Les règles de base de la pharmacocinétique nous l’expliquent par la simple méthode de calcul de la clairance du médicament : la clairance est le rapport de la dose à l’AUC. Ce que l’on recherche en fait c’est la dose qui permettra de cibler la bonne AUC et ainsi cette dose optimale , en fonction de la formule énoncée, sera le produit de l’AUC cible par la clairance. Reste donc à connaître la clairance selon une approche simple. C’est exactement , de mémoire, ce qui a été fait pour le carboplatine ( travaux de l’américain Meryl Egorin suivi de notre Chatelut national et sa formule) dont la clairance est corrélée étroitement à celle de la créatinine . Quelles pourraient être, dans cet esprit, les pistes pour le cabazitaxel et au regard des résultats ici exposés ? De toute évidence il conviendrait avant tout de se tourner vers le cytochrome P450 et ses variants individuels ( polymorphismes génétiques facilement accessible par séquençage d’ADN simple de routine) ) , siège de la biotransformation des taxanes . Une suite possible et vivement encouragée pour cette étude stimulante et mobilisatrice.