Une notion bien ancrée est celle que les anomalies génétiques tumorales, fondatrices de la stratégie médecine de précision du cancer, s’appliquent uniquement aux thérapies ciblées et à l’immunothérapie. Pourtant, un article paru dans la dernière édition de Nature Medicine fissure ce dogme et ouvre la voie à la chimiothérapie ( Lonsurf) du cancer colorectal avancé qui pourrait bénéficier de cette méthodologie pour identifier les bons répondeurs au traitement.
Par avance merci de l’attention pour la synthèse de ce travail bien construit et issu d’une collaboration multi institutionnelle entre les Pays-Bas et l’Italie, où l’on retrouve parmi les co-auteurs nos bien connu(e)s : Giampaolo Tortora et Ornella Garrone.
La médecine de précision franchit une nouvelle étape avec la prédiction de l’efficacité d’une chimiothérapie dans le cancer colorectal avancé
Codon –specific KRAS mutations predict survival benefit of trifluridine/tipiracil in metastatic colorectal cancer
Van de Haar J. et al. , Nature Medicine vol 29, March 2023, 605-614
Bases de l’étude :
La prise en charge du cancer colorectal (CCR avancé et recevant CCR) avancé évolue mais le cœur du réacteur efficacité thérapeutique reste alimenté par la chimiothérapie et en particulier les fluoropyrimidines .
Cette classe thérapeutique vient de voir , pour le cancer colorectal avancé , une percée notable avec l’introduction de l’association trifluridine et tipiracil ( inhibiteur de thymidine phosphorylase) . Cependant ce nouveau traitement ( Lonsurf) apporte des bénéfices thérapeutiques très contrastés avec des réponses prolongées pour certains patients mais avec cependant un bénéfice apporté en matière de survie globale augmentée relativement modeste et en médiane de 1.8 mois. Cette situation a conduit les auteurs à se tourner vers l’outil analyse génomique par séquençage d’ADN , de plus en plus généralisé et accessible , afin de retirer une information en terme de facteur prédictif de l’efficacité du Lonsurf. Ils ont construit une étude solide comportant les deux étapes clés avec d’une part mise en évidence du/des facteurs prédictifs et d’autre part de confirmation sur une cohorte indépendante.
Methodes :
Les auteurs ont remarquablement appliqué les méthodes adaptées à ce type de recherche en insérant un groupe « découverte » et un groupe « validation ».L’objectif était d’appliquer une analyse de séquençage de type NGS et de rechercher des liens entre les variants de gènes et les durées de survie sous lonsurf.
La cohorte « découverte » était constituée de patients avec CCR traités par lonsurf et ayant bénéficié d’une analyse génétique étendue type NGS au niveau de leur tumeur. Le groupe « validation « représentait une population de plus de 1000 patients avec CCR avancés et traités par lonsurf entre 2016 et 2022 sur 36 établissements de santé académiques en Italie et aux Pays Bas. Tous les patients avaient été analysés en routine pour leur statut mutationnel RAS et RAF. L’objectif principal était de vérifier le lien entre la présence de la mutation tumorale KRAS G12 et les survies sans progression et globale sous lonsurf.
Un groupe supplémentaire homogène de patients était celui de l’essai contrôlé international CCR avancé RECOURSE comparant lonsurf plus soins de support à un placebo plus soins de support ( phase 3, n=800). Dans ce groupe les marqueurs tumoraux explorés ont concerné différents mutants KRAS incluant le G12.
Enfin des cultures organoides issues de tumeurs de patients avec CCR avancé ont été utilisées pour étendre l’étude des liens entre les différentes mutations KRAS en G12 ( quatre) et KRAS sauvage et l’efficacité antitumorale du lonsurf dans ces conditions expérimentales.
Résultats :
L’étape initiale de découverte de marqueurs génomiques prédictifs de l’efficacité du lonsurf sur la base des explorations NGS à disposition pour chaque patient de cette série a permis de mettre en évidence les mutations KRAS en position G12 comme étant associées à une évolution défavorable des patients sous lonsurf ( 37 patients explorés au total pour une médiane de survie globale de 6.1 mois) .
Dans un deuxième temps de recherche de confirmation, les auteurs ont distingué au sein d’une population totale de 960 patients ,un sous-groupe de 385 patients avec RAS/RAF sauvage, un sous-groupe de 343 patients porteurs de mutations KRAS G12 et 86 patients porteurs de mutations KRAS en G13. L’impact défavorable des mutations KRAS G12 s’est vu confirmé : les patients avec CCR et porteurs de ce type de mutation avaient une survie globale significativement diminuée dans le contexte d’un traitement par lonsurf .De plus cette mutation G12 conférait une moins bonne survie comparée à celle des patients ayant la G13 ( HR 1.61,1.15-2.26,p=.0061).
L’application de cette exploration de mutations KRAS au sein de la population des patients de l’essai RECOURSE montrait que la présence des mutations en G12 ( n=279 sur 800 au total) prédisait une moindre survie globale pour les patients sous lonsurf en comparaison au placebo. En corollaire, pour le groupe de patients KRAS mutés en G12 il n’y avait pas de bénéfice en survie globale en recevant le lonsurf plutôt que le placebo. En comparaison, les patients avec les mutations KRAS de type G13 tiraient eux bénéfice au niveau de leur survie globale en recevant le lonsurf plutôt que le placebo.
Enfin un recours à des investigations précliniques et en se basant sur des modèles cellulaires de lignées établies ou de cultures tumorales de type organoides ,montrait que la présence des mutations KRAS en G12 était associée à une résistance aux effets cytotoxiques du lonsurf.
Commentaires :
Cette étude ouvre de nouvelles perspectives à la médecine de précision en abordant le domaine d’application de la chimiothérapie. En effet les auteurs nous montrent que les mutations de KRAS en position G12 confèrent un désavantage en termes d’efficacité et de survie au décours de l’application du lonsurf . Du point de vue pratique cette information trouve tout son intérêt dès lors que le recherche de mutations RAS est désormais réalisée en quasi routine dans la prise en charge du cancer colorectal. A l’opposé des mutations KRAS en position G12 il ressort également de cette étude que la position G13 puisse conférer , contrairement à la position G12 un bénéfice à retirer du traitement par lonsurf. Les auteurs ont renforcé la portée de leur message en contexte clinique en complétant les explorations par une partie expérimentale à base de lignées cellulaires comportant les mutations d’intérêt et exposées au médicament actif.
Etonnement, les auteurs n’ont pas cherché à discuter leurs résultats du point de vue mécanistique, ce qui est non seulement une relative faiblesse du point de vue de la portée scientifique du travail mais constitue également une certaine lacune au regard de la responsabilité éditoriale, Nature Medicine, en l’occurrence. Comment aurait-il fallu aborder la question ? Probablement en examinant l’impact de la voie de signalisation MAP Kinase , suractivée par les mutations KRAS , vis à vis du système enzymatique qui joue pour l’activation –désactivation du principe actif du médicament, c’est-à-dire la trifluridine . Cette dernière nécessite en effet une activation par phosphorylation conférée par la thymidine kinase et se voit dégradée par la thymidine phosphorylase, d’où l’ajout dans la composition du médicament lonsurf de la partie inhibiteur de thymidine phosphorylase (tipiracil) .
Gardons au final à l’esprit un message fort ,original et potentiellement utile sur ce lien entre les mutations KRAS en position G12 et le risque de perte de bénéfice du traitement par lonsurf. Des études ultérieures seraient les bienvenues afin de renforcer le message et surtout pour positionner , dans une réflexion plus élargie incluant lonsurf , l’utilisation des nouveaux agents ciblant spécifiquement les mutations KRAS G12C ou G12D.