Il s’agit de la valeur pronostique du taux de lymphocytes circulants, et aussi de la capacité de ce marqueur à prévoir le bénéfice ou pas de l’addition du cisplatine à la RT dans la prise en charge des cancers de l’oropharynx.Un article d’une équipe multidisciplinaire du nord de l’Angleterre publié tout récemment dans le JCO et ce sur un nombre très conséquent de patients ( plus du millier et comportant un groupe d’apprentissage et un groupe de validation).
Comment juger individuellement du bénéfice ou pas de l’ajout du cisplatine à la RT dans la prise en charge des cancers de l’oropharynx : le taux de lymphocytes circulants, tout simplement ?
Pretreatment lymphocyte count predicts benefit from concurrent chemotherapy with radiotherapy in oropharyngeal cancer.
Price JM et al. J Clin Oncol 40 :2203-2212 ,2022.
Bases de l’etude :
La preuve de l’efficacité thérapeutique de l’association cisplatine-radiothérapie n’est plus à faire mais cependant ce traitement n’est pas sans poser un problème certain au plan de la tolérance . En effet plus de 50 % des patients traités présentent des toxicités significatives, voire sévères , au décours de ce protocole thérapeutique. Cependant, sur ces bases, l’omission du cisplatine s’est avérée être un échec au plan de la performance antitumorale. Le besoin de marqueurs prédictifs permettant une désescalade thérapeutique objective est donc justifié en la circonstance.
Les auteurs soulignent la part prise par le statut immunitaire dans ce contexte en rappelant que pour les cancers de l’oropharynx HPV positifs à faible infiltrat lymphocytaire tumoral ont des survies comparables aux patients HPV négatifs. Pour un nombre conséquent de localisations tumorales, un taux de lymphocytes circulants bas est associé à une moindre durée de survie. La valeur pronostique du taux de lymphocytes a été testée dans les cancers de l’oropharynx mais avec des résultats discordants , fait probablement lié à des séries explorées de faible taille .
C’est donc dans un but d’explorer plus à fond la valeur du statut immunitaire des patients sur la base du taux de lymphocytes circulants que les auteurs ont émis l’hypothèse principale que les patients ayant un taux de lymphocytes pré thérapeutique élévé étaient susceptibles de pouvoir se passer de l’ajout du cisplatine au plan de la durée de survie conférée par le traitement.
Methodes :
Les auteurs ont construit un étude rétrospective en exploitant deux cohortes de patients avec cancer de l’oropharynx , une cohorte d’exploration (apprentissage) et une cohorte de validation le tout sur une large période allant de 2011 à 2020 ( hôpitaux universitaires de Leeds et de Manchester) .La RT était soit de type modulation d’intensité ou de type Arc thérapie. Les doses de RT étaient de 60-66Gy en 30 fractions sur 6 semaines ou de 70 Gy en 35 fractions sur 7 semaines . Des techniques IHC étaient appliquées afin d’obtenir le statut HPV ( marquage p16) et le niveau d’infiltration lymphocytaire tumoral.
Résultats :
Phase de d’apprentissage : elle s’appuie sur un groupe de 791 patients avec un suivi médian de 55 mois et 253 événements cumulés. Les points marquants des résultats sont la valeur pronostique indépendante du compte lymphocytaire (CL) avec des valeurs pré thérapeutiques élevées associées à une meilleure survie à 5 ans ( HR .64, .42-.98, p=.04).En se fixant un seuil de CL à 2400/mm3 , les patients avec une valeur inférieure au seuil tirent un bénéfice en survie de par la présence du cisplatine en association à la RT. En revanche, la présence du cisplatine n’apporte rien de plus en survie par rapport à la RT pour les patients ayant une valeur de CL supérieure au seuil ( HR 2.53,1.03- 6.19,p=.094). Pas de différence notable n’était observée pour cette interaction selon le statut HPV ( 67 % des patients positifs dans le groupe total de patients) .
Phase de validation : elle est représentée par un groupe de 609 patients ( on est toujours dans le cadre d'une étude rétrospective) sans différence sensible des caractéristiques de populations entre les 2 groupes apprentissage/validation. Le suivi médian est de 51 mois avec un cumul de 162 évènements. L’interaction notée entre la chimiothérapie par cisplatine et la valeur pré thérapeutique du CL est confirmée , de même que le lien entre CL et survie.
Facteurs explicatifs biologiques : les auteurs ont conduit des analyses tissulaires et n’ont pas observé de lien significatif entre le CL pré thérapeutique et la valeur intratumorale de l’infiltrat en CD4 +, en CD8+ et en CD68+
Commentaires :
Les auteurs nous ont délivré un article très riche en informations statistiques qui est de ce fait particulièrement difficile à déchiffrer.
Néanmoins ce travail vaut par le groupe important de patients étudiés ayant conduit à une dichotomie rarement appliquée mais néanmoins nécessaire pour la valeur d’un marqueur biologique : un sous–groupe apprentissage et un sous-groupe validation. Cette simple valeur du taux lymphocytaire revêt un double impact dans cette étude , à la fois comme facteur pronostique lié à la survie globale à 5 ans et ce en variable continue et d’autre part ,et on peut dire surtout, comme variable dichotomique ( seuil optimal à 2400 /mm3) permettant d’isoler l’apport du cisplatine dans l’association RT-CT pour la prise en charge des cancers de l’oropharynx. Clairement , d’après ce travail, le cisplatine n’a aucun impact supplémentaire sur la survie pour les patients avec CL élevé, c’était l’hypothèse principale de cette étude.
A partir de là quelles sont les explications biologiques, mécanistiques possibles à cette observation? Il est fondamental de souligner l’absence de corrélation entre le CL et l’infiltrat tumoral lymphocytaire ici reporté ce qui écarte la possibilité que le CL soit le simple reflet de l’immunocompétence tumorale. Les auteurs suggèrent qu’un CL élevé pourrait être le reflet d’une meilleure diffusion des T lymphocytes vers le microenvironnement tumoral et favoriser ainsi l’action de la RT. Les auteurs raisonnent aussi a contrario en évoquant le rôle immuno modulateur connu du cisplatine ( augmentation prouvée d’une diffusion de l’interleukine 1 b et de la signalisation CCL20) qui jouerait pleinement en situation de CL bas.
Au final les informations apportées par cette étude sur le signal du CL vis-à-vis d’une stratégie de désescalade thérapeutique est un message fort qui reste cependant à valider par des études complémentaires dont on peut souhaiter un apport complémentaire en données mécanistiques.