Je reviens vers le cœur de métier du CHE en me penchant sur un article récent de Nature Med qui est en rapport avec les mécanismes de radiorésistance des métastases cérébrales.
Il s’agit d’une étude pluridisciplinaire, internationale initiée par le « Brain Metastasis Group « situé à Madrid et ayant fédéré chercheurs, radiothérapeutes et oncologues médicaux européens et israéliens. Tous les acteurs du travail ont convergé vers un objectif commun , original, visant l’identification d’une voie moléculaire de résistance à la radiothérapie(RT) , de sa mise en évidence chez les patients traités et de son lien avec les résultats thérapeutiques de la RT le tout en déployant une approche moléculaire de ciblage de cette voie et des effets de cette action pharmacologique dans l’amélioration de l’efficacité de la RT vis-à-vis du traitement des métastase cérébrales.
La radiorésistance des métastases cérébrales lève un voile
Stratification of radiosensitive brain metastases based on an actionable S100A9/RAGE resistance mechanism
Monteiro C et al., Nature Medicine, vol 28 2022 ,28(4):752-765
Bases de l’étude :
En moyenne 20 à 40 % des patients atteints de cancer peuvent développer des métastases cérébrales avec des localisations primitives favorisantes que sont les cancers du poumon, les cancers du sein et les mélanomes. La radiothérapie (RT) est la pierre angulaire de la prise en charge thérapeutique des métastases cérébrales. L’irradiation du cerveau entier (ICE) est restée l’option prioritaire dans la mise en place de la RT cérébrale pour traiter l’extension métastatique cérébrale multifocale du cancer avant de laisser sa place à la RT stéréotaxique , de très haute précision mais touchant cependant ses limites d’application quant à la taille des lésions métastatiques à traiter. Le recours à l’ICE se heurte pour sa part à la survenue de rechutes fréquentes signe de l’émergence de mécanismes de résistance à cette modalité d’application de la RT. Le volume de recherche consacré à cette problématique de survenue du phénomène de radiorésistance est relativement limité et le besoin existe donc dans ce domaine thérapeutique du cancer. C’est dans cet esprit qu’une étude pluridisciplinaire, internationale a vu le jour et a été initiée par le « Brain Metastasis Group « situé à Madrid et qui a fédéré chercheurs, radiothérapeutes et oncologues médicaux européens et israéliens. Tous les acteurs du travail ont convergé vers un objectif commun , original, celui de l’identification d’une voie moléculaire de résistance à la radiothérapie(RT) , de sa mise en évidence chez les patients traités et de son lien avec les effets thérapeutiques de la RT . L’équipe a aussi conduit une approche moléculaire de ciblage de cette voie et a étudié les effets de cette action pharmacologique vis-à-vis de l’amélioration de l’efficacité de la RT pour le traitement des métastase cérébrales.
Principaux résultats :
Les auteurs se sont attaqués à la question en déployant la batterie lourde du panel d’investigations couvrant l’application de la RT sur un modèle cellulaire issu de métastases cérébrales de cancer du sein. Ils ont eu aussi recours à des modèles expérimentaux de métastases cérébrales induites et irradiées chez le rongeur et enfin les auteurs ont exploré des échantillons tumoraux de métastases cérébrales de patients avec des cancers du sein triple négatifs , des cancers du poumon et des mélanomes.
1-In vitro les auteurs ont créé des conditions expérimentales précises de radiosensibilité et de radiorésistance sur cellules tumorales exposées et établi, en regard ,des signatures d’expression génique. L’expression du gène S100A9 était un élément clivant entre sensibilité et résistance à la RT, les conditions de résistance étant associées à une forte expression de la protéine codée. Les auteurs se sont ensuite penchés sur la question du caractère inductible possible de la proteine S100A9 dans les conditions expérimentales in vivo de la RT de l’encéphale sur le rongeur. Ils ont ainsi pu mettre en évidence que l’inflammation induite par la RT dans le cerveau stimulait la production de composés pro-inflammatoires tels que TGFa. Dans un deuxième temps les cellules métastatiques présentent au niveau cérébral ( modèle expérimental chez le rongeur) étaient sensibles au signal inflammatoire via les récepteurs spécifiques ( CXCR2, REGF) et cette interaction déclenchait l’expression de S100A9. A ce stade l’expression de S100A9 apparait tout à la fois comme un reflet intrinsèque de la radiorésistance in vitro et se trouve également stimulée par la RT in vivo dans les conditions expérimentales précises de l’étude. Forts de la connaissance que la protéine S100A9 est capable d’interagir avec son récepteur spécifique qui est la protéine membranaire RAGE pour aboutir à l’activation de la voie NFkappa b, les auteurs ont pu effectivement mettre en évidence que l’expression de RAGE était induite par la RT au niveau des cellules tumorales et qu’au final les cellules tumorales radiorésistances se distinguaient par une activation accrue de la voie NFkappa b . C’était à ce stade expérimental leur hypothèse de travail.
2-Cette hypothèse de travail a été ensuite creusée par les auteurs en ayant recours à des expériences de fonctionnalité. Selon une approche d’invalidation modulable du gène S100A9 sur un modèle de cellules tumorales issues de métastases cérébrales, les auteurs ont pu mettre en évidence le rôle déterminant de ce gène dans l’activation de la voie NFkb sous l’effet de la RT. Les auteurs ont ensuite développé un modèle murin génétiquement déficitaire en S100A9 et sur les souris résultantes ils ont greffé des cellules métastatiques en mode orthotopique. Dans ces conditions, en situation de privation de la protéine S100A9 dans les tissus non tumoraux , le phénomène de radiorésistance induite persistait signifiant que l’induction intrinsèque de S100A9 est une condition nécessaire et suffisante au développement de la radiorésistance par les cellules tumorales issues de cancers du sein et de cancers du poumon.
3-Les auteurs ont accentué la démonstration du rôle de S100A9 dans la radiorésistance tumorale intrinsèque en mesurant le niveau d’expression du transcrit dans une série de biopsies ( metastases cérébrales de cancers du poumon ) et en mettant ainsi en évidence une lien entre le niveau élevé de base de S100A9 et un intervalle libre réduit après irradiation de l’encéphale. Cette association n’était pas observée avec les valeurs de l’expression la protéine dans la tumeur primitive. Une cohorte indépendante constituées de patients avec mélanomes et patientes avec cancers du sein confirmait la valeur prédictive de S100A9 dans ce contexte précis.
4- Enfin, les auteurs ont pu disposer d’un inhibiteur spécifique de la protéine RAGE ( composé FPS-ZM1) doté d’une excellente capacité à franchir la barrière hémato-encéphalique. Ils ont ainsi mis à profit cette opportunité pour montrer sur le rongeur en xénogreffe orthotopique de cellules métastatiques cérébrales humaines que leur survie était significativement prolongée par l’adjonction d’une administration du FPS-ZM1 ( une semaine) après 2 semaines de RT de l’encéphale des animaux greffés .Les auteurs ont souligné la très bonne tolérance du traitement combiné dans les conditions expérimentales précises.
Commentaires :
Cette étude est particulièrement démonstrative quant à la capacité de cette équipe d’apporter la preuve d’un mécanisme de radiorésistance , d’analyser son origine moléculaire et surtout de développer une approche pharmacologique pour le contrer. On a donc avec l’axe S100A9/proteine RAGE/ voie NFkb la mise en évidence d’un phénomène de radiorésistance des métastases cérébrales qui représentent un problème central de prise en charge de cancers majeurs tels que le cancer du poumon , le mélanome ou le cancer du sein. Les auteurs évoquent dans la discussion de leurs résultats la mise sur pied d’un essai thérapeutique multicentrique à l’initiative du National Network of Brain Metastasis (RENACER) visant à personnaliser la RT sur la base de la prise de connaissance de l’expression de S100A9 ( biopsies liquides) et de l’utilisation du composé FPS-ZM1 .
On aurait aimé dans cette publication voir des données comparant l’inhibition de la voie NFK b par des composés déjà validés avec celle visant ici directement la protéine RAGE. Egalement, la notion de radiorésistance médiée par cette protéine RAGE en interaction avec S100A9 aurait gagné à être explorée dans des situations d’exposition tumorale à la RT autres que les métastases cérébrales. Ce sera sans doute le cas dans des études à venir. Celle livrée ici par les auteurs de cette publication est un encouragement fort dans cette voie.