Rien n’est perdu avec la médecine de précision, telle qu’elle nous était servie, avec la possibilité de traiter, grâce à l’analyse génomique, la cible et non la tumeur du patient, mais force est bien de constater que la très large majorité des essais contrôlés parus à ce jour nous laissent sur notre faim. On pense en particulier à la remarquable étude prospective multicentrique française SAFIR 2 dans le cancer du sein qui demeure négative sur son objectif principal en dépit d’un résultat positif dans un petit sous-groupe non planifié .C’est face à ce constat que les auteurs d‘un commentaire, récemment paru dans Cancer Cell et sous la houlette du NCI , cherchent à rester optimistes dans ce domaine, et passent en revue les approches complémentaires actuellement à disposition afin d’améliorer les performances de la génomique au service du traitement personnalisé du cancer,et à ce titre ils mettent en exergue et commentent les modèles avatars de tumeurs .
Las avatars de tumeurs et l’évolution de la médecine de précision du cancer.
A path to translation : how 3D patient tumor avatars enable next generation precision oncology
Cancer Cell, 40,Dec 12,2022:1448-53
Préambule
Les auteurs ( équipe multicentique US autour d’une initiative du NIH) partent du constat du succès tout relatif de la médecine de précision qui vise à appliquer des traitements ciblés sur la base de l’existence et mise en évidence de ces cibles au niveau tumoral .Les tumeurs pouvant se voir appliquée cette stratégie thérapeutique restent toutefois limitées en nombre. Au-delà, les avancées considérables de la génomique tumorale permettant d’une part un séquençage large mais sélectif des tumeurs et d’autre part le développement considérable de médicaments ciblés a fait émerger l’espoir d’un traitement de précision visant à traiter la mutation centrale guidant la cancérogénèse pour une tumeur donnée, pour un patient donné. Il faut bien constater que la très large majorité des essais contrôlés parus à ce jour nous laissent sur notre faim quant au bénéfice de cette stratégie par rapport aux pratiques standard. On pense en particulier à la remarquable étude prospective multicentrique française SAFIR 2 dans le cancer du sein qui demeure totalement négative en dépit d’un résultat positif dans un petit sous-groupe non planifié .Les auteurs considèrent que les résultats négatifs sont en large partie liés au fait que la génomique tumorale seule ignore des composantes importantes de la réponse thérapeutique que sont les connaissances métaboliques, phénotypiques, épigénétiques et micro environnementales tumorales qui participent de près ou de loin au montage de l’efficacité thérapeutique ou à l’échec du traitement. C’est sur ce constat que les auteurs, et à travers eux le NCI USA , dressent un tableau d’amélioration des pratiques en élargissant la base des explorations nécessaires à mettre en œuvre afin de mieux approcher la notion de traitement de précision du cancer.
Standardisation des pratiques et des protocoles
Le recours à des modèles de culture pour caractériser la réponse tumorale vis-à-vis d’un traitement unique ou mixte est une approche connue qui a fait ses preuves avec les mises en culture 2D qui ont rapidement laissé leur place à des techniques en 3D qui constitue la mise en culture d’un fragment de tissu tumoral et l’examen de son évolution dans des conditions contrôlées où l’on définit précisément le microenvironnement dans ses composantes biochimiques .Grâce à des avancées technologiques, on dispose désormais de techniques de culture micro fluidiques qui améliorent considérablement le problème de la variabilité. Ces techniques reposent sur l’utilisation de cellules micro fluidiques contrôlées par des puces spécifiques qui garantissent précision et excellente répétabilité des analyses , le tout se rapprochant idéalement des conditions naturelles. On évoque dans ce cas la mise en place d’avatars de tumeurs de patients en 3D ( 3D-ATP) qui ont montré dans des publications récentes leur capacité à prévoir la réponse des patients à la chimiothérapie ou la radiothérapie. Bien que constituant une voie de progrès importante , la généralisation de ces approches en 3D-ATP nécessite de nombreuses améliorations que sont, en particulier , la standardisation des méthodes de prélèvement tissulaire et des conditions de culture ainsi que la définition des paramètres précis d’évaluation de la prolifération et de la survie des tissus dans les conditions d’utilisation dans des laboratoires de biologie spécialisée au sein de plateformes dédiées restant à définir .
Standardisation de la collecte de données patients
Le groupe d’experts mandatés par le NCI insistent sur la montée en puissance des bio banques et annotations relatives aux patients qui peuvent induire une source de variabilité prévisible et impactant significativement les études multifactorielles enrichissant et complétant les données issues des investigations biologiques issues des modèles 3D-ATP.Les auteurs et ainsi le NCI plaident pour la mise sur pied d’une standardisation internationale des recueils de données patients visant la collection de metadata en insistant sur le fait que l’évolution actuelle dans le domaine nous y conduit obligatoirement.
Conception innovante d’essais thérapeutique
Tout comme ont été développés récemment des essais thérapeutiques cherchant à apporter la preuve du concept pour l’intégration de la génomique dans la conduite thérapeutique, il est tout autant nécessaire de valider le bien fondé des modèles 3D-ATP sur la base d’une recherche clinique rigoureuse. Le groupe d’experts du NCI soulignent que des essais prospectifs de nécessaire faisabilité sont en cours sur la base de plateformes spécifiques 3D-ATP où la praticabilité est en particulier examinée afin de rendre compatible cette technologie avec une utilisation clinique réaliste . Les auteurs indiquent qu’une attention toute particulière doit être apportée aux délais de réalisation en particulier. On ajouterait volontiers une connaissance nécessaire du taux de prise au final ( n interprétables /n testés ) quand on sait que pour les tests en 2D antérieurement évalués, ces valeurs étaient au mieux de 50%. La variabilité du taux de prise en fonction de types tumoraux testés sera aussi une information des plus utiles dans ce contexte .Ajoutons aussi que la mise en place de tels essais d ‘évaluation de la 3D-ATP dans un contexte de traitement neoadjuvant serait particulièrement bienvenu dans l’optique d’attaquer une prise en charge thérapeutique par un traitement potentiellement optimal. Enfin ,signalons comme le révèle des résultats très récents que ces modèles 3D-ATP sont également parfaitement adaptés pour tester l’efficacité de la radiothérapie sur les échantillons tumoraux concernés et permettent même d’identifier les sources moléculaires de résistance et d’envisager ainsi, a priori, leur correction.
Les experts NCI soulignent que de tels essais seront les fondations aux USA d’un réseau identifié et validé à travers le NCCN ( National Compréhensive Cancer Network). Il est clair qu’une telle initiative doit retenir toute notre attention et encourager en Europe des projets de même nature. A noter que l’étendue d’utilisation de tels essais va au-delà du champ d’application de la génomique qui , elle, se base le plus souvent sur les thérapies ciblées. En effet, les modèles 3D-ATP peuvent également être pris en considération des schémas de chimiothérapie conventionnelle qui manquent de cibles activables et qui peuvent offrir des options thérapeutiques aux patients évolutifs .
Comparaison génomique vs 3D-ATP
Il est clair que les avancées en matière de médecine de précision, fondée sur la génomique et les applications concrètes des stratégies 3D-ATP, se sont développées en parallèle plutôt que conjointement. Les standardisations des procédures en génomique (outils NGS ) sont certainement plus avancées que celles portant sur les applications 3D-ATP où une grande variabilité existe encore au plan des plateformes à valider. Les apports des 2 approches sont cependant idéalement complémentaires .En plus d’une notion de cible et médicament adapté apportée par la génomique , la 3D-ATP offre une approche d’individualisation thérapeutique plus large en donnant la possibilité de comparer des molécules entre elles ,évitant ainsi les accumulations au plan thérapeutique, la 3D-ATP donne aussi l’opportunité de tester des associations de médicaments .Il est clair que l’exploitation numérique des données trouve ici toute sa place et doit être encouragée afin d’aboutir à des cartographies complètes des patients incluant non seulement des données relatives au comportement de leur tumeur par rapport à un traitement attendu amis aussi des informations cliniques et démographiques complètes. De telles initiatives sont en place actuellement aux USA avec les consortiums NCI PDMC, PDXnet, TEC et CSBC. L’Europe n’est pas en reste avec des infrastructures dédiées telles que INFRAFRONTIER et EuroPDX . De la saine synergie reste à attendre des avancées concrètes de ces initiatives prises des 2 côtés de l'Atlantique.
Commentaires finaux
Cette remarquable revue-prise de position aboutit avant tout à une prise de conscience de l’évolution de la médecine personnalisée du cancer au plan des avancées technologiques et conceptuelles. Non pas que le traitement de précision basé sur la génomique est dépassé mais plutôt qu’une alternative s’est mise en place. Cette alternative est l’aboutissement de longues années d’apprentissage de ce que l’on dénommait jadis les tests de chimio sensibilité in vitro basés sur la mise en culture de cellules tumorales du patient et sur laquelle on évaluait différents traitements possibles. Cette approche a fait les beaux jours et surtout les belles fins de mois du chercheur-médecin Von Hoff et sa plateforme à tests ( fort onéreux) de chimio sensibilité . Cette pratique n’a pas survécu à sa faible prédictivité, à la praticabilité opérateur dépendante et surtout son rendement de mise en culture inférieur à 50 % des cas. Il n’en demeure pas moins que ce fut là une ouverture et non pas un abandon du concept . La biologie en la matière a su évoluer sur les modèles sphéroïdes plus représentatifs de la physiologie tumorale. Nous en sommes aujourd’hui grâce à la puissance du traitement numérique des données à une conception multifactorielle de la prédiction de sensibilité et identification de traitements actifs du cancer seuls ou isolés dont la partie 3D-ATP est la pierre angulaire. L’article ici commenté nous en apporte des éléments de conviction forts .La pratique de la 3D-ATP ne s’éloigne pas de la génomique mais s’en rapproche en apportant des informations complémentaires au plan du comportement plus global et multifactoriel de la tumeur isolée . On prend bien conscience que la 3D-ATP est fondée sur une maîtrise technologique basée sur la microfluidique . Une société française très dynamique en la matière est l’entreprise Fluigent qui propose des solutions basées sur l’automatisation ,sur la précision et la relative facilité d’utilisation. L’intégration de microscopes dédiés dans le système permet un suivi serré de la prolifération tumorale dans des conditions qui reproduisent l’environnement tumoral en apport contrôlé de partenaires cellulaires et fluides complémentaires. On a donc les bases pour la mise en place d’études cliniques prospectives et contrôlées qui élargiront, souhaitons le tout comme le fait ici le NCI, la portée pratique de la médecine de précision en oncologie au bénéfice du patient .