Tout récemment publié dans le Clin Cancer Res, une option “tout oral” du ciblage RAFmut-EGFR. Il s’agit d’un essai de phase Ib/II qui donne ,par un groupe multicentrique australien, un article bien construit qui comporte une partie translationnelle étoffée faisant apparaître des facteurs de résistance, en particulier dans le CCR. Bonne lecture !
Le ciblage BRAF mut-RGFR par une option tout oral ? Un début de réponse avec l’essai EVICT.
A phase Ib/II trial of combined BRAF and EGFR inhibition in BRAFV600E positive metastatic colorectal cancer and other cancers: the EVIT (Erlotinib and Vemurafenib in Combination Trial) study
Tan L et al . , Clinical Cancer Research 2023 ;29 :1017-30
Bases de l’etude :
La présence d’un mutation BRAF V 600 E survient dans 10 à 15% des cancers colorectaux, le plus souvent chez la femme et des patients avancés en âge et signe une pathologie tumorale de mauvais pronostic .Les avancées récentes du traitement personnalisé du cancer visant spécifiquement cette altération moléculaire ont rencontré des succès thérapeutiques nets dans la prise en charge du melanome par ces inhibiteurs de RAF muté et en revanche un manque d’efficacité dans le cancer colorectal .La raison à cela est la présence du REGF dans le cancer colorectal ( et absent dans le mélanome) qui fait que le mécanisme de rétrocontrôle négatif de la voie MAP Kinase au niveau du REGF lui-même est levé par l’application d’un inhibiteur de RAF muté . Il s’en suit par voie de conséquence une accélération relative de prolifération tumorale qui vient contrecarrer l’effet bénéfique de l’application du RAF inhibiteur. Cet éclairage mécanistique a permis de lever cet écueil moléculaire en associant un inhibiteur de REGF , le cetuximab, à l’anti RAF muté. Cela a été le fondement de l’essai BEACON , dès lors d’efficacité antitumorale très satisfaisante , et ayant permis l’enregistrement en 2ième ligne de l’association encorafenib-cetuximab pour le cancer colorectal BRAF muté V600E. Mais le ciblage du REGF n’est pas l’apanage unique des anticorps monoclonaux anti REGF et cette étude EVICT nous propose une alternative avec l’anti BRAF vemurafénib combiné au bien connu TKI inhibiteur de REGF, l’erlotinib.
Methodes :
Il s’agit d’un essai de phase I en schéma d’escalade de dose en 3+3 concernant uniquement le cancer colorectal avancé muté BRAF V600E et non au-delà de la deuxièmeligne de traitement métastatique. Une cohorte d’extension incluant d’autres pathologies tumorales était prévue. Au total 5 établissements australiens ont participé à l’étude.
La dose de départ de l’association était de 960mg , 2 fois par jour de vemurafenib combiné à 100mg une fois par jour d’erlotinib( palier de dose D1) suivie du 2ieme palier avec vemurafenib idem D1 et erlotinib passé à 150 mg( D2) .
Un suivi par analyse d’ADN tumoral circulant ( ADNtc) était réalisé au temps 0,2,4,8 semaines et toutes les 8 semaines ensuite et au moment de la reprise évolutive de la maladie.
L’exploration de génomique portait sur un panel de 77 gènes ( kit Roche )visant en particulier les anomalies génétiques somatiques du cancer colorectal et du cancer du poumon .Etaient retenues les mutations ponctuelles ( SNPs), les insertions-deletions, les variations du nombre de copies et enfin les fusions de gènes.
Principaux resultats :
Cette étude a couvert un total de 40 patients dont une grande majorité ( n=33) de cancers colorectaux.
Pour la tolérance , il n’y avait pas de dose limite toxique de signalée et la dose maximale tolérée était celle du palier D2.
Les toxicités les plus fréquentes ( grades 3-4) étaient la diarrhée (23%) et le rash cutané acnéiforme (8%) .
La réponse objective (réponses partielles) était de 32 % ( dont seulement la moitié des cas confimés).
Les survies médianes étaient de 3.9 mois pour le sans évènement et de de 6.3 mois pour la survie globale.
Les analyses génomiques ( sur ADNtc) permettaient d’identifier des facteurs de résistance primaire et secondaires. Pour la résistance primaire un moindre bénéfice clinique était associé , au départ, à des mutations de BRAF ( autres que V600E),TP53, REGF et MET pour les plus fréquentes. De même en cette situation de résistance intrinsèque on notait des amplifications de REGF, de MET, de ERB2 . A la progression, l’analyse ADNtc révélait des mutations acquises dans 67 % des cas. Les plus fréquentes concernaient KRAS et NRAS. A noter que ces mutations ne figuraient pas sur le profil mutationnel de départ pour les patients concernés.
Commentaires :
Cette alternative tout oral à l’essai BEACON méritait d’être tentée quand on connait l’avantage de cette alternative au plan d’un meilleur accès au traitement, une moindre lourdeur en particulier pour les sujets âgés. La réponse objective confirmée de 16% est relativement satisfaisante quand on la compare aux 20% de l’essai BEACON. Avec un tout TKIs l’émergence de la toxicité digestive significative à 32% mérite attention et pourrait constituer une écueil potentiel pour une plus grande généralisation de ce schéma thérapeutique. La substitution du cetuximab par un anti REGF TKI ne se limite cependant pas à devoir contrer l’envolée de la voie MAPKinase . En effet, le cetuximab IgG1 est capable, on le sait, de provoquer une réaction de stimulation immunitaire de type ADCC qui trouve tout son intérêt quand on envisage une association avec une immunotherapie .L’approche tout TKIs n’offre pas cet important avantage potentiel.
Mais cette étude vaut surtout par les analyses complémentaires de type moléculaire réalisées à partir des recueils d’ADNtc . On y trouve deux types de messages très informatifs. Le premier est en rapport à la résistance primaire potentielle où l’on voit une série d’anomalies moléculaires où l’on retrouve la place de MET tant pour les mutations que pour son amplification , soulignant ainsi l’importance de cette cible MET dans la planification de la stratégie thérapeutique visant RAF muté dans le cancer colorectal. Un éclairage moléculaire est aussi donné pour les cas de résistance acquise où se détachent les mutations de RAS, cependant il s’agit ici d’avantage ,comme le reconnaissent les auteurs eux-mêmes, d’un éclairage descriptif plutôt qu’explicatif .
Au final cette entrée en matière pour un tout TKIs dans la prise en charge du cancer colorectal muté RAF renseigne sur sa bonne faisabilité , son efficacité thérapeutique objective qui mérite confirmation sur des études élargies ultérieures et nous apporte aussi un message concret fort sur le bien-fondé de l’outil ADNtc pour piloter plus finement ce type de traitement .