Après le ciblage de RAS G 12C par le sotorasib et l’efficacité démontrée dans le cancer du poumon arrive le ciblage de RAS G 12 D, mutation la plus fréquente dans le cancer du pancréas.
Un article très prometteur vient de paraître dans Nat Med et concerne le développement du MRTX1133 inhibiteur de RAS G12D. Je me propose d’en faire le commentaire ici.
Le ciblage de RAS muté s’élargit avec RAS G12 D visé, un formidable potentiel thérapeutique dans le traitement du cancer du pancréas
Anti-tumor efficacy of a potent and selective non-covalent KRAS G12 D inhibitor
Hallin J et al. Nat Med 2022( 28):2171-2182
Bases de l’étude : KRAS représente l’oncogène muté le plus fréquent avec deux formes majeures que sont la mutation G12C et la mutation G12D.Pendant plusieurs décennies le ciblage thérapeutique de RAS muté s’est soldé par des échecs ( voir les inhibiteurs de farnesyl transférase) . Ce n’est que très récemment que les efforts de la chimie moléculaire structurelle ont été couronnés de succès avec l’arrivée d’un inhibiteur de RAS G12C , le sotorasib, premier de la classe thérapeutique nouvelle, et la démonstration de son efficacité antitumorale dans le cancer du poumon avancé.
C’est la même Biotech californienne ,Mirati Therapeutics, qui revient ici à la charge avec un très attendu agent ciblant RAS G12D, très attendu car cette mutation est présente dans 35% des cancers du pancréas. Le composé concerné est le MRTX1133 ( RASi) issu d’un screening moléculaire de longue haleine et ayant abouti à la sélection d’un inhibiteur spécifique de la modification de structure protéique conférée par la mutation RAS G12D ( poche S II) . C’est un inhibiteur réversible très spécifique ( 700 fois plus afin pour la forme mutée G12D que pour la forme RAS sauvage) et à très haute affinité ( 5 nM). Il s’agit ici d’une étude préclinique complète , y compris pour des investigations sur la souris porteuse de tumeur que nous rapportent les auteurs (essentiellement des chercheurs de Mirati Ther San Diego) ,et qui laisse percevoir des perspectives thérapeutiques concrètent en particulier dans le traitement du cancer du pancréas.
Methodes : les auteurs ont appliqué des méthodes de pharmacologie préclinique se basant sur des modèles de cellules tumorales en culture et des tumeurs en xénogreffes sur la souris immunodéficiente. Les auteurs ont fait également appel à des méthodes de génomique fonctionnelle afin d’identifier les régulateurs moléculaires de l’activité du RASi.
Résultats : Des expériences de pharmacologie moléculaire établissaient l’activité de RASi tout aussi bien sur la forme active que la forme inactive de RAS G12D. Appliquant en parallèle le RASi sur 25 lignées cellulairesmutées G12 D et 11 non mutées les auteurs ont mis en évidence la spécificité d’action inhibitrice dose dépendante sur la signalisation ERK par RASi sur 24 des 25 lignées mutées alors que l’activité était faible ou inexistante sur les lignées non mutées.
Administré par voie intraperitoneale sur un modèle de souris immunodéficiente greffée avec une tumeur du pancréas humaine, le RASi montrait une activité antitumorale dose dépendante corroborée par une inhibition de la forme activée de ERK dans des lysats tumoraux .Etendant les expériences à une série de xénogreffes d’origine de cancer du pancréas et également de cancers colorectaux l’efficacité antitumorale était particulièrement remarquable sur les tumeurs pancréatiques (73% ).L’efficacité de RASi sur le cancer du pancréas était confirmée sur un modèle de greffe orthotopique ( plus représentatif de la situation réelle chez le patient) , là encore l’activité antitumorale forte était associée à une baisse significative de la signalisation de la voie MAP Kinase.
Des expériences d’inactivation génique ciblée ( CRISPR-Cas9) mettaient en évidence une coopérativité du ciblage de la voie PIK3 et de PTEN afin d’augmenter les effets antitumoraux de RASi. En miroir, l’application d’un inhibiteur de la voie PIK3 apportait une additivité d’action antitumorale au RASi sur les modèles de cancers colorectaux et du cancer du pancréas. Egalement le cetuximab ( HER1 inhibiteur) et l’afatinib ( HER2 inhibiteur) montraient une synergie in vitro avec le RASi. Cette synergie était confirmée in vivo pour le cetuximab( modèle cancer colorectal).
Commentaires : Incontestablement la barrière inatteignable du ciblage thérapeutique de RAS muté est levée. Après le développement moléculaire original et très performant du ciblage de la mutation en position G12C qui a apporté la preuve de son efficacité thérapeutique dans le cancer du poumon avancé porteur de cette caractéristique génétique, on voit ici arriver en fin de mise en place préclinique le ciblage de la position G12D . En sachant que RAS G12D couvre plus d’un tiers des cancers du pancréas on mesure sans difficulté l’attente qui s’instaure après la publication de ces résultats et ce d’autant que les auteurs ont su utiliser un modèle de greffe orthotopique se rapprochant idéalement de la situation thérapeutique réelle chez le patient. Des associations prometteuses entre le RASi ici développé et l’inhibition de la voie MAP Kinase ( cétuximab) et PIK3 complètent la vision de perspectives thérapeutiques prometteuses. Idéalement on aurait pu souhaiter que les auteurs anticipent sur des modèles expérimentaux appropriés la survenue de mécanismes de résistance et leur identification , ce qui inexorablement viendra à notre connaissance lors de l’utilisation du RASi dans son champ thérapeutique attendu.