Voici un tir groupé sur l’analyse de 2 articles du dernier numero de Nat Med, plus un commentaire, tous ces papiers concernant le rôle de l’interleukine 7 dans la réponse et la toxicité aux inhibiteurs du point de contrôle. On entre dans le monde de la connaissance ultra fine des mécanismes de réponse à l’immunothérapie et ici, à travers ces 2 articles complémentaires (encore de la face nord hivernale avec 2 bons sommets 8000!), l’approche de base est la même, une analyse génétique germinale qui révèle des traits génétiques associées à la pharmacodynamie de l’immunothérapie. Mon souci est qu’au final il y ait la réception d’un message clair accessible à une large strate de lecteurs suiveurs...
Des études de génétique germinale à grande échelle soulignent le rôle déterminant de l’interleukine 7 dans la réponse et la toxicité aux inhibiteurs du point de contrôle
Germline variants associated with toxicity to immune checkpoint blockade
Groha S et al. Nature Med (2022) ,28 :2584-2591
IL7 genetic variation and toxicity to immune checkpoint blockade in patients with melanoma
Taylor C. A. et al. Nature Med ( 2022) ,28 :2592-2600
Using genetics to predict toxicity of cancer immunotherapy
Robert C. et al. Nature Med (2022) ,28 :2471-2472
Bases de ces études : avec le recul et le cumul d’expérience il est clair que l’application des inhibiteurs du point de contrôle (CPIs) ont permis des avancées thérapeutiques spectaculaires et indéniables , qui continuent leur progression en association avec des traitements établis , et en particulier les antiangiogeniques ou en association avec des agents ciblant d’autres modulateurs négatifs de la réponse immune , tels que plus récemment les anti-LAG3. Mais l’accent doit être mis aussi sur la survenue de toxicités inhérentes et potentiellement sévères aux traitements par CPIs et pour lesquelles on manque de facteurs prédictifs contrairement aux facteurs prédictifs tumoraux en rapport à l’efficacité thérapeutique. C’est cette arrière-pensée qui a guidé les auteurs de ce tir groupé d’articles du dernier numéro de Nature Med avec 2 papiers originaux accompagnés d’ un commentaire d’experts ( Caroline Robert et collègues). Le principe de base des 2 articles étant le recours à la génétique germinale qui interroge les caractéristiques génétiques propres aux sujets indépendamment de toute considération de génétique somatique sans vouloir pour autant ici avancer que ces deux domaines de génétique sont totalement étanches l’un vis-à-vis de l’autre, bien au contraire, mais ici n’est pas la question ni le sujet.
Methodes et principaux resultats : l’article de Droha et collaborateurs fait appel à une méthodologie de génétique de population, communément dénommée GWAS( genome-wide association study) qui est donc de nature pangénomique . Ce type de méthode génétique cherche à établir des liens entre des variants génomiques( en grande majorité des polymorphismes nucléotidiques ou SNPs) et les traits phénotypiques de sujets explorés.En pratique, les auteurs (Dana-Farber et Harvard Med School) ont analysé sur une plateforme spécifique dédiée une cohorte de 1751 patients ayant tous reçu une immunothérapie par CPIs en grande majorité des anti PD-1/PD-L1 ( 12 localisations tumorales différentes)sur la période 2013-2020.En grande majorité le matériel biologique utilisé pour les analyses génétique provenait de biopsies .La couverture de gènes séquencés ( reliés au cancer) s’étendait de 275 à 447.Les auteurs ont pu ainsi identifier 3 loci qui étaient le plus significativement associés à la survenue de toxicités sévères sous CPIs .Le locus le plus clivant pour le risque de toxicité était un polymorphisme situé sur le gène de l’interleukine 7 , le rs 1690615, dont l’allèle à risque ( variant A) concerne 7à 8 % de la population. Les auteurs ont pu mettre en évidence que le variant à risque était associé à une expression plus élevée de l’IL7 et de son récepteur dans les B lymphocytes et les T lymphocytes CD4+ et ce chez les patients à risque de toxicité sous ICIs. Les auteurs ont examiné l’impact de ce polymorphisme génétique sur une population différente de 433 patients porteurs de mélanome et ont observé , pour cette catégorie de patients seulement, un lien entre la présence de l’allèle à risque et une survie sans évènement significativement allongée.
L’article de Taylor et collaborateurs est focalisé sur une cohorte de 214 patients porteurs de mélanomes et traités par CPIs ( nivolumab, ipilimumab, pembrolizumab) sur la période 2015-2021 ( Oxford Cancer Center) . L’objectif des auteurs était de mettre le projecteur sur le gène IL7 et son polymorphisme codant rs 1690615 dans une approche totalement indépendante de celle qui était à la base de l’étude de Droha et al. Les auteurs ont analysés des prélèvements de sang total et ont exploré l’ADN germinal ainsi que l’ARN ( séquençage d’ARN) au niveau lymphocytaire. Pour l’essentiel les auteurs retrouvent dans leur étude le lien entre le polymorphisme rs 1690615 et le risque de développer une toxicité sévère sous CPIs et de même ici les patients porteurs de la caractéristique génétique sont des meilleurs répondeurs au traitement.De plus, les auteurs ont pu mettre en évidence un lien entre l’expression préthérapeutique de l’IL7 dans les B lymphocytes et le risque de développer une toxicité significative sous CPIs. Enfin, les auteurs ont examiné une paramètre particulier qui est la stabilité lymphocytaire (SL) en cours de traitement ( prétraitement/ 21 jours) .Ce choix étant motivé par le fait que l’IL7 a une fonction de stimulation des B et T lymphocytes et que le polymorphisme rs 1690615 modifie positivement le niveau d’expression d’IL7 pour les variants à risque toxique. Sur ces bases les auteurs ont pu montrer que les patients non porteurs de l’allèle à risque étaient associés à des valeurs basses de LS et que les sujets avec une chute de LS supérieure à 20% avaient une survie sans évènement et une survie globale significativement diminuées. Les auteurs ont complété l’exploration du lien entre la caractéristique génétique IL7 et la survie en examinant l’évolution d’un groupe de patients non traités par CPIs en montrant que les patients porteurs de l’allèle à risque montraient une survie ( sans évènement et totale) supérieure à celle des patients non porteurs de l’allèle à risque .
Commentaires : ces deux publications convergentes ont fait l’objet d’une analyse critique par Caroline Robert et deux collègues immunologistes experts avec rappel des résultats essentiels, éclairage mécanistique, importance de l’expression IL7, nouvelle preuve éclairée de no pain no gain, prolongements pratiques. Avant tout ces deux études révèlent pour certains et peuvent souligner pour d’autres ce rôle central joué par l’IL7 dans la maturation lymphocytaire B et T et leur efficience immune. Toutefois en ce qui concerne l’IL7 les auteurs nous apportent des éléments descriptifs pour son lien avec la pharmacodynamie du traitement par CPIs sans explication mécanistique et encore moins sur l’origine du lien entre efficacité et toxicité .C Robert et collègues soulignent à juste titre l’utilisation déjà décrite de l’Il7 recombinante en association à la vaccination lors d’un essai contrôlé de phase II chez des patients avec cancer de prostate résistants à la castration. L’association par rapport à la vaccination seule générait davantage de CD4+,de CD8+ et de NK de même que l’association entraînait plus de toxicité spécifique donnant ainsi un écho élargi aux résultats de Groha et al. et de Taylor et al. Au final, ces résultats originaux tracent plusieurs pistes à explorer : le rôle prédictif de l’IL7 circulante dans la prédiction de réponse ou toxicité aux CPIs et la mise sur pied de traitements capables de moduler l’augmentation d’expression d’IL7 sous CPIs.