Je commente bien volontiers un nouvel article paru récemment dans le Brit J Cancer car il s’inscrit dans la suite d’une étude antérieure publiée par notre équipe, et en rapport avec l’origine possible du syndrome main-pied provoqué par la prise continue de capecitabine, un effet secondaire qui complique significativement la prise en charge et le vécu du traitement par le patient sans aucune solution satisfaisante actuellement à disposition et à lui opposer (PBM?). On va voir que les choses à ce niveau sont peut-être sur le point de bouger.
Merci d’avance pour l’attention portée à cette analyse.
Le syndrome main- pied sous capecitabine, bientôt une solution efficace à ce réel problème ?
Capecitabine induces hand-foot syndrome through elevated thymidine phosphorylase-mediated locoregional toxicity and GSGME-driven pyroptosis that can be relieved by tipiracil
Yang B et al., British Journal of Cancer (2023) 128:219-231
Bases de l’étude :
La capecitabine est une pro-drogue toute particulière du 5FU dans le sens où elle délivre cet antimétabolite in situ après une cascade bien orchestrée d’étapes enzymatiques dont la dernière se situe au niveau intracellulaire cible et implique la transformation du 5’DFUR en 5FU sous l’action de l’enzyme thymidine phosphorylase (TP). La capecitabine a fait la preuve de son efficacité thérapeutique en particulier pour la prise en charge du cancer du sein et du cancer colorectal. Un des problèmes constants rencontrés avec l’utilisation de la capecitabine est bien connu et consiste pour la majorité des patients en l’apparition de rougeurs et fourmillements dans la paume des mains et sur la plante des pieds, c’est le syndrome main-pied . C’est un effet secondaire qui peut devenir très invalidant et conduire à une perte de chance par diminution des doses voire un arrêt du traitement.
Cette situation constituait un challenge et tout particulièrement pour le pharmacologue afin d’éclairer les causes possibles et proposer des solutions objectives pour y remédier. C’est dans ce contexte que l’équipe d’Oncopharmacologie du CAL associée au labo d’anapath du CHU ( Paul Hofman) a conduit en 2008 une étude pharmacologique –histologique afin de rechercher les causes possibles sous –jacentes à ce syndrome main-pied sous capecitabine.
Il est un fait connu que la caractéristique de l’epiderme de la main et du pied diffère en plusieurs points de celle des autres zones du corps , ne serait-ce par la présence ou pas de la pilosité. Un des aspects de la différence repose sur la cinétique de renouvellement de l’epiderme beaucoup plus rapide au niveau de la main ou du pied et d’ailleurs les cellules souches des kératinocytes ne sont pas les mêmes au niveau de l’epiderme de la main en comparaison au reste du corps .
Cette différence de cinétique cellulaire epidermique renvoie à une conséquence immédiate vis-à-vis du système enzymatique régulant la synthèse d’ADN dont la TP. D’où l’hypothèse que nous avons formulé ,vérifié expérimentalement et publié ( Milano G et al Brit J Clin Pharmacol 2008) que l’expression de la TP pouvait être plus élevée dans l’épiderme de la main ( cellules basales) que dans le reste du corps ( peau du dos prise en contrôle apparié pour une série de volontaires sains dans cette étude évoquée) et de ce fait conduire à une production locale élevée toxique de FU sous l’effet de l’administration de la capecitabine.
Les auteurs de l’université de Shanghai ont repris notre étude à son point final et se sont proposés d’explorer plus en profondeur l’explication mécanistique basée sur le rôle de la TP et surtout de tester une approche pharmacologique pour contrer le phénomène , avec l’application locale d’un inhibiteur de TP, en l’occurrence le tipiracil , une des 2 composantes du lonsurf.
Methodes :
Les auteurs ont mis en place une série de tests et modèles expérimentaux complémentaires permettant d’explorer le rôle de la TP dans la survenue des effets cutanés toxiques de la capecitabine. Ils ont ainsi exploré en parallèle une lignée tumorale colorectale d’origine humaine ( HCT-116) et une lignée dérivée de keratinocytes humains ( HaCaT). Les auteurs ont appliqué différentes stratégies d’inhibition de TP par inactivation pharmacologique ( tipiracil) et génétique ( siRNA et invalidation du gène avec generation de souris TP-/-).Des analyses histologiques étaient realisées sur des échantillons de peau prélevés sur la patte de souris traitées par capecitabine .Le traitement par capecitabine consistait en une administration orale quotidienne de 1000mg/kg pendant 5 jours.
Principaux résultats :
Dans une première partie des investigations les auteurs ont examiné les concentrations de 5’DFUR et de 5FU dans la peau de la patte des animaux traités par capecitabine en comparaison à celles observées dans la peau du dos. La peau de la patte produisait des niveaux de concentration significativement plus élevés en 5FU et 5’DFUR en comparaison à la peau du dos évoquant une expression de base relativement plus élevé en TP dans la peau de la patte , ce qui était confirmé par des analyses d’immunohistochimie.
Le rôle de la TP dans le développement sélectif du syndrome main-pied (SMP) était mis en évidence grâce à l’utilisation de souris dont le gène TP était invalidé ( souris TP-/-). En effet, les souris TP-/- développaient significativement moins de SMP que les souris contrôles au décours d’une administration de capecitabine. Ces observations étaient renforcées par des observations en conditions expérimentales de tests standardisés de sensibilité thermique sur plaque chauffante avec moins de résultats positifs notés pour les souris TP-/- sous prise de capecitabine. Enfin des analyses histologiques complémentaires révélaient pour l’essentiel, que le phénomène de SMP sous capecitabine consistait en un infiltrat massif de cellules immunitaires dans l’epiderme et le derme , réaction significativement réduite chez les animaux TP-/-.
En complément , des expériences d’inactivation génique de TP sur modèles cellulaires de kératinocytes humains (HaCaT)en culture montrait que l’effet cytotoxique du 5’DFUR était significativement moindre pour les cellules inactivées TP en comparaison aux contrôles. Les auteurs ont au final eu recours à un inhibiteur pharmacologique de TP qui est le tipiracil (TPI) et ainsi le TPI associé au 5’DFUR réduisait significativement les capacités d’inhibition de prolifération des HaCaT .
Pour finir le TPI a été appliqué directement sur la peau des animaux et il a été constaté que ce traitement prophylactique réduisait significativement le phénomène SMP observé sur l’animal traité par capecitabine avec des compléments de preuves histologiques ( infiltrats lymphocytaires et macrophages diminués par le TPI) et de comportement des animaux lors du test de sensibilité thermique sur plaque chauffante ( moins de tests positifs grâce au TPI) . A noter que des animaux porteurs de tumeurs colorectales humaines xénogreffées ( modèle HCT 116) et traités par capecitabine ne montraient pas de perte d’efficacité de cette fluoropyrimidine orale sous application locale cutanée de TPI.
Commentaires :
Les auteurs confirment ici nos résultats publiés antérieurement à savoir le rôle supposé de la TP cutanée à l’origine de la mise en place du syndrome main-pied sous capecitabine .Il faut savoir que cette présence cellulaire de la TP avait été à l’origine de la synthèse de la capecitabine par les chercheurs de Roche Japon . La motivation principale était que la TP était davantage exprimée dans les tumeurs que dans les tissus sains , ce qui a été vérifié , sans plus. De ce fait la capecitabine pouvait être considérée comme un traitement du cancer hautement sélectif visant les cellules tumorales préférentiellement du fait de la production de 5FU par le truchement de la TP. Ce concept n’a pas été démenti .On pourrait même considérer comme justifié de déterminer l’expression de la TP tumorale comme facteur prédictif de l’activité de la TP, ou mieux encore de considérer le tandem TP et DPD, puisque la DPD dégrade le 5FU néoformé après l’action de la TP. Ainsi , a priori , un index TP/DPD haut serait synonyme d’efficacité de la capecitabine et à l’inverse un index bas serait prédictif de moindre efficacité . C’est vraiment là de la médecine de précision très abordable ( tests immunohistochimiques) et à bon entendeur…
Revenons cependant sur l’essentiel du travail, c’est-à-dire le prolongement de nos travaux antérieurs avec la mise en évidence de l’efficacité de l’application cutanée d’un inhibiteur de TP , en l’occurrence le tipiracil, afin de limiter voire contrer le développement du syndrome main-pied. Les auteurs ont su déployer des expériences concluantes in vitro sur kératinocytes en culture et in vivo sur l’animal de laboratoire. Au final on dispose avec le tipiracil d’un outil thérapeutique déjà validé (un des 2 protagonistes du lonsurf) et il ne reste plus qu’à espérer de voir son utilisation détournée, pour la bonne cause, afin de renforcer l’acceptabilité du traitement par capecitabine.