Depuis de nombreuses années les édulcorants ont largement investi l’univers de la consommation alimentaire et de notre comportement vis-à-vis du désir, voire le besoin, de perception sucrée.
Les édulcorants sont considérés comme des armes préventives et défensives utiles dans le combat quotidien contre l’obésité, l’hyperglycémie et les conséquences par rapport aux survenues de diabète de type 2 et de pathologies cardiovasculaires. Cependant l’efficacité réelle de cette stratégie de recours aux édulcorants est globalement controversée avec l’existence d’études disparates et montrant parfois un effet opposé des édulcorants par rapport à celui attendu. C’est dans ce contexte qu’une équipe pluridisciplinaire et multicentrique Israélienne a décidé de prendre la question à sa racine et de mettre sur pied une monumentale étude biologique chez l’homme et le rongeur publiée début septembre dans la non moins monumentale revue scientifique CELL. Après avoir absorbé cette méga étude et ses résultats à petites doses successives je vous en restitue ici, à mon sens et je l’espère, l’essentiel des messages forts qui en ressortent.
Les édulcorants peuvent avoir un effet sur la glycémie et le microbiote serait l’instigateur de cette imposture
Personalized microbiome –driven effects of non-nutritive sweeteners on human glucose tolerance
Suez J et al. Cell, 2022,185:3307-3328
Bases de l’étude : Les édulcorants occupent une place majeure dans l’univers de la consommation alimentaire et de notre comportement vis-à-vis du désir , voire du besoin, de perception sucrée ( un coca zero avec zeste , svp). Les édulcorants ont été largement adoptés comme armes préventives et défensives dans la lutte continue contre l’obésité, l’hyperglycémie et les conséquences au plan du développement de diabètes de type 2 et de pathologies cardiovasculaires. Cependant l’efficacité réelle de cette stratégie de substitution du sucre blanc par les édulcorants est souvent controversée avec les résultats d’études montrant un effet opposé des édulcorants par rapport à celui attendu .Parmi ces investigations beaucoup ont concerné l’interaction entre les édulcorants et le microbiote, sans en retirer vraiment des conclusions tranchées. Ce contexte a constitué l’élément moteur principal du travail ici commenté et les auteurs ( équipe multicentrique israélienne pilotée par le Weizmann Institute) ont décidé d’y voir plus clair en ce domaine précis en conduisant une étude biologique mixte chez l’homme et le rongeur avec la recherche de l’élucidation du rôle du microbiote en arrière-plan. Les auteurs ont comparé les effets de quatre édulcorants parmi les plus utilisés : aspartame, sucralose, saccharine et stevia.
Methodes : La partie chez l’homme est une stricte étude contrôlée ( 120 adultes volontaires , sélectionnés à partir d’un screening sur critères stricts et sur une population de 1375 individus) en rapport à la prise d’un des quatre édulcorants sélectionnés à savoir l’aspartame, la saccharine, le sucralose et le stevia. La forme administrée était celle du commerce ( 2 sachets par jour, 3 fois par jour ).Deux groupes contrôles étaient également constitués , un avec prise de l’excipient glucose et l’autre sans aucune prise. L’objectif principal de l’étude chez l’homme était d’analyser les effets respectifs de la prise des différents édulcorants sur la glycémie ( impact d’une prise continue de 14 jours sur le test d’ hyperglycémie provoquée).L’objectif secondaire était d’étudier l’implication du microbiote ( essentiellement intestinal) dans la réponse glycémique individuelle et spécifique vis-à-vis de chaque édulcorant séparément.
La partie chez l’animal concernait le modèle souris sans germes, animaux exposés ( gavage) à des prélèvements de microbiotes des sujets de l’étude ( sélection de sujets forts répondeurs par rapport à des non répondeurs) et analyse de l’impact cette absorption de microbiote sur la réponse glycémique .
Résultats : Les auteurs ont pu mettre en évidence que la prise continue d’édulcorants avait un effet mesurable sur la tolérance au glucose avec une variabilité interindividuelle marquée et que cet effet se traduisait par une augmentation de la réponse glycémique ( tests d’hyperglycémie provoquée standards et hebdomadaires répétés ) significative pour la saccharine et le sucralose , le tout en comparaison aux contrôles prédéfinis.
A noter que la prise continue de l’excipient glucose ( un des 2 contrôles) n’avait aucun impact sur ce test, ce qui veut dire que l’effet observé était vraiment attribuable à l’édulcorant exploré.
Les auteurs ont en parallèle fait pratiquer des recueils de microbiote fécal et ont pu ainsi mettre en évidence une modification significative de sa composition dans le temps qui correspondait à la dérive des résultats des tests de tolérance au glucose et ce de manière significative là encore pour la saccharine et le sucralose. Plus en détails, les auteurs ont examiné l’évolution de certaines caractéristiques biochimiques du microbiote ( biosynthèse des purines, fermentation acide, concentration en certains acides aminés) . Elle était corrélée à la modification progressive des réponses aux tests d’hyperglycémie provoquée .L’impact des édulcorants sur la sensibilité au glucose était totalement réversible à l’arrêt de l’exposition à ces produits.
Les auteurs ont ensuite administré à des souris élevées sans germes des prélèvements de microbiotes issus des sujets de l’étude et en tenant compte des disparités interindividuelles des réponses glycémiques à la prise d’édulcorants ( forts répondeurs vs faibles répondeurs ). Sur ces bases expérimentales il a été observé que les animaux soumis à une hyperglycémie répondaient identiquement , en miroir, par rapport aux sujets dont ils étaient porteurs du microbiote inoculé .Ces résultats mettent en évidence le rôle clé joué par le microbiote dans la réponse à la prise d’édulcorants et son rôle vis-à-vis de la réponse glycémique. Ces conclusions se trouvaient renforcées par le fait que les souris porteuses des microbiotes des sujets à réponse opposée traduisaient dans leur réponse glycémique l’amplitude de la différence observée entre les sujets et ce en particulier pour le sucralose.
Commentaires : Cette étude conduite avec la rigueur d’un essai contrôlé permet de mettre en évidence que , contre toute attente, la prise d’édulcorants n’est pas physiologiquement neutre et qu’elle est susceptible d’interférer avec la sensibilité au glucose .Elle pointe en cela deux édulcorants largement utilisés que sont le sucralose et la saccharine.
Cette étude fournit des éléments explicatifs à cette observation et identifie le microbiote comme médiateur responsable des effets des édulcorants sur la sensibilité glycémique altérée. La partie des investigations consacrée à l’exploration des souris sans germe est très convaincante car elle récapitule l’impact du microbiote comme l'intermédiaire physiologique des altérations de la sensibilité glycémique conférée par les édulcorants sur la base d’administration d’extraits de microbiotes de sujets représentatifs de l’étude.
Les auteurs abordent dans la discussion la question des mécanismes à l’origine de cette interférence microbiote-edulcorants .La piste pharmacocinétique est évoquée avec une très faible absorption du sucralose et de la saccharine impliquant une exposition relativement conséquente au microbiote intestinal et ce en contraste à l’aspartame qui est largement métabolisé par des enzymes de l’hôte dans la partie proximale du tractus digestif et donc moins capable a priori d’interagir avec le microbiote intestinal .
Les auteurs tentent également de dégager des pistes mécanistiques plausibles directes en évoquant l’effet inhibiteur de certains édulcorants rapportés sur la croissance de bactéries participant à la flore intestinale. Beaucoup reste à faire dans des études ultérieures visant à mieux comprendre cette interaction de certains édulcorants sur le microbiote intestinal et la répercussion sur la sensibilité individuelle au glucose et sur la base de quels intermédiaires biochimiques précis .
Il y a aussi dans cet article un message fort pour une prise de conscience des utilisateurs et prescripteurs vis-à-vis de la non neutralité de certains édulcorants pour la capacité individuelle à gérer la glycémie .Pour autant ,cet article n’est pas un manifeste pour un retour à l’utilisation du sucre blanc ,dont les effets néfastes sont incontestables, et qui reste à éviter en général et pour les sujets à risque en particulier.