Un article qui montre sans doute l’avenir, avec l’éclosion d’une nouvelle classe très récente de molécules de synthèse prometteuses, des composés hybrides, les PROTACs dont la publication ici commentée livre une illustration convaincante, avec une molécule de cette classe ciblant RAF muté. Il s’agit d’une étude préclinique sur des bases in vitro mais qui laisse entrevoir objectivement des applications thérapeutiques cancérologiques à court terme. Bonne lecture !
Les PROTACS passent à l’attaque : la cible BRAF muté !
Development of a potent small-molecule degrader against oncogenic BRAF V600 E protein that evades paradoxical MAPK activation.
Ohaka N et al. , Cancer Science 2022 ;113 :2828-2838
Bases de l’étude : Les composés dénommés PROTACs représentent une nouvelle classe très récente ( 2020) de molécules à visée thérapeutique de très haute technologie. Ce sont des molécules chimères composées de 2 parties complémentaires. Les PROTACS comportent ainsi un pôle de reconnaissance spécifique vis-à-vis d’une protéine cible et un pôle de fixation à l’ubiquitine ligase 3 . Les PROTACs génèrent des liaisons covalentes avec leurs 2 partenaires de liaison. Quand le tout est assemblé, il s’opère une ubiquitination de la protéine cible prise au piège en quelque sorte et ce via l’activité enzymatique de l’ubiquitine ligase 3. Ainsi ubiquitinée la protéine cible est directement la proie du protéase 26S qui la dégrade méticuleusement .
Les applications PROTACs se développent à grand pas et particulièrement en cancérologie ( voir ESMO 2022 et San Antonio 2022 ) avec des composés visant, entre autres, à remobiliser les fonctions immunes antitumorales. Ici les auteurs japonais se sont intéressés à une des mutations tumorales les plus fréquentes dans le panel des cibles activables, les mutations BRAF V600E dont on connaît le grand intérêt pharmaceutique et l’efficacité thérapeutique incontestable des anti BRAF sur le marché avec leurs limites cependant ( tolérance, résistance constante).
Un des écueils spécifiques de l’application des composés anti RAF mut V600E tels que l’encorafénib ou le vemurafénib est la survenue d’une activation de la voie MAP kinase dite paradoxale car elle génère des hyperplasie malignes cutanées constantes. Ce phénomène s’explique par l’existence d’une activation d’origine stéréochimique provoquée par la présence du RAFi qui accélère paradoxalement la signalisation RAF normale ( interface CRAF-BRAF modifiée par le RAFi) sur les kératinocytes pourvus de récepteurs à l’EGF . Cette difficulté a été contournée par l’adjonction d’un MEK inhibiteur qui complique la situation avec, entre autre, sa toxicité propre. Il y a cependant des molécules anti RAFmut qui s’affranchissent de cette activation paradoxale de par leur structure chimique optimisée et ce tout en gardant une très forte efficacité contre la cible RAF muté. Ce sont les briseurs de paradoxe ( paradox breakers) avec le PLX8394 très en vue et en développement clinique actuel .
Les auteurs ont ainsi mis en point de mire le composé PLX 8394 qui est l’anti RAF muté le plus prometteur actuellement .
Methodes : les auteurs ont developpé une série de composés PROTACs visant BRAF V600E sur le principe de l’obtention de molécules synthétiques hybrides non peptidiques bi fonctionnelles, de structure phthalimide et avec la stereospecificité requise. Une excellente revue récente pour examiner dans le détail cette nouvelle catégorie de molécules est : Li X. et al., Molecular Cancer 2022,21 :99 .
Le modèle cellulaire test était celui des cellules tumorales en culture d’origine mélanome ,cancer colorectal ,cancer du poumon, cancer de l’ovaire et cellules leucémiques. L’impact fonctionnel sur les voies de signalisation ciblées était évalué par technique de western blot et enfin la viabilité cellulaire résultant de l’exposition aux composés testés était examinée.
Resultats : les auteurs ont pris la bonne option d’adopter la structure moléculaire du briseur de paradoxe PLX 8384 pour constituer la partie interactive avec BRAF mut. Ils ont ensuite constitué l’hybride avec une structure pomalidomide interagissant spécifiquement avec l’ubiquitine ligase 3.
Une série de composés synthétisés sur ces bases ont été comparés pour leur capacité à dégrader BRAF dans la lignée tumorale mélanome A375. Ils ont ainsi abouti à la structure optimale avec le composé CRBN(BRAF)-24 présentant les meilleures caractéristiques au plan de l’intensité de dégradation BRAF et de sa durée dans le temps( efficace à des concentrations nanomolaires et effet maintenu 72h).La comparaison des capacités à inhiber la voie de signalisation MAP Kinase entre le PROTAC optimal et le PLX 8394 était à l’avantage du PROTAC.
Tout comme le PLX 8394 ,le PROTAC était dépourvu de toute activité d’entraînement de la signalisation MAPK dans les lignées B RAF sauvage ( absence d’effet paradoxal).
Appliqués sur une série de lignées tumorales BRAF mut ou BRAF sauvage, les 2 composés PROTAC et PLX 8394 montraient une efficacité antiproliférative à basse concentration et à l’avantage du PROTAC à concentration comparable.
Les 2 composés étaient remarquablement spécifiques vis-à-vis de la présence de B RAF V600 E ( sans effet sur les formes sauvages).
Dans une recherche de mécanismes de résistance , les auteurs ont transfecté un gène RAS muté dans la lignée A 375 . Cette lignée transfectée RAS mut devenait résistante à l’action du PROTAC mais les capacités de dégradation de BRAF mut par ce composé n’en étaient pas affectées.
Commentaires : le développement des PROTACs en oncologie connait ici un nouvel essor visant BRAF V600E qui est une cible fonctionnelle dans des pathologies tumorales majeures telles que le poumon, le colo rectum et le mélanome. L’application de cette nouvelle classe de médicaments PROTACs est actuellement la plus avancée dans le cancer du sein ( voir le meeting San Antonio 2022) avec des essais précoces particulièrement prometteurs pour des PROTACs visant ER dans les formes HER2-ER+ avancées( Arvinas qui développe) .
Avec les PROTACs nous avons en main une nouvelle percée de molécules hybrides telles que nous les connaissons déjà avec les monoclonaux conjugués et leurs avancées incontestables. Les PROTACs tel que le composé ici présenté ont une structure chimique qui leur permet une bonne absorption orale et une diffusion tissulaire correcte. Ce PROTAC ciblant la mutation BRAF V600E se place d’emblée en position concurrentielle très prometteuse par rapport aux inhibiteurs de kinase tel que l’encorafenib en faisant fi de l’activation paradoxale qui entrave malencontreusement cette molécule et performe encore mieux que le briseur de paradoxe leader actuel qui est le plus efficace sur la cible BRAF mut et sans défaut d’activation paradoxale. Le développement clinique de ce nouveau PROTAC est annoncé et l’attente des résultats est incontestablement justifiée.