Métastases cérébrales, une cible privilégiée des inhibiteurs de KRAS muté dans le NSCLC ?
Activity of adagrasib (MRTX849) in brain metastases :preclinical models and clinical data from patients with KRAS G12C –mutant non-small cell lung cancer
Clinical Cancer Research 2022, 28:3318-28
Contexte de l’etude :
Il est incontestable que l’une des percées récentes et des plus attendues dans le domaine de la médicine personnalisée des cancers est l’aboutissement de la recherche du ciblage des mutations de KRAS et ce en particulier dans le NSCLC où la présence de la mutation KRASG12C est loin d’être une petite niche ( 14%). Des publications récentes et convergentes dont un écho au dernier ESMO renforcent la notion d’ une efficacité incontestable du sotorasib dans le cadre thérapeutique précis du NSCLC avancé ayant amené les autorités de santé à un accord pour l’accès au produit ( Lumykras).
Un des problèmes majeurs de la prise en charge du NSCLC est sa capacité à développer des métastases cérébrales et il est rapporté ,pour 27 à 42 % des NSCLC KRAS mutés, la présence d’une telle extension de la maladie au moment du diagnostic initial. Dans ce cadre, la radiothérapie stéréotaxique offre actuellement une solution thérapeutique incontestable mais elle a ses limites et persiste donc dans cette situation un besoin d’options thérapeutiques plus élargies , en particulier au plan médical . C’est dans cet esprit que les auteurs US ( dont Harvard Medical School ) se sont intéressés à un autre inhibiteur dans cette classe de produits anti RAS muté, l’adagrasib (ada) qui est un inhibiteur irréversible (covalent) de KRAS G12C extrêmement efficace ( IC 50 à 50nM) qui résulte des efforts du développeur( Mirati Therapeutics ,San Diego US) pour optimiser les propriétés pharmacocinétiques avec une biodisponibilité orale satisfaisante , une demi-vie particulièrement longue ( approx 24h) et également une excellente pénétration tissulaire. Les auteurs ont conduit ici une étude hybride, essentiellement sur un plan expérimental préclinique visant à établir la notion d’efficacité de l’ada vis-à-vis des métas cérébrales de NSCLC mais aussi avec un pendant clinique comportant des données pharmacocinétiques et cliniques chez des patients NSCLC traités par l’ada ( cadre de l’essai KRYSTAL-1).
Methodes :
Les auteurs ont utilisés le modèle de xenogreffes de lignées de NSCLC mutées KRAS G12C sur souris nude avec implantation intracrânienne directe et également systémique. Les observations concernaient pour l’essentiel l’efficacité et la pharmacocinétique de l’ada.
L’essai KRYSTAL-1 est une étude clinique de phase I-II, il est multicentrique et concerne les patients avec maladie avancée comportant la mutation KRAS G12C.L’ada ( 600mg 2 prises orales par jour) est administré seul ou en association. Des résultats préliminaires de cet essai sont actuellement rendus publics, comme ce fut le cas lors du dernier ESMO.
Resultats :
On distingue 3 parties dans les résultats de cette étude.
Une première partie concerne une analyse rétrospective d’un registre local du cancer sur une période de 5 ans et en rapport aux NSCLC mutés KRAS .Sur 374 patients en banque de tissus, au total 40% se sont révélés mutés KRAS G12C.La majorité des métastases cérébrales étaient synchrones au diagnostic et la présence d’une mutation KRAS, en particulier G12C favorisait le développement des métastases cérébrales.
La seconde partie, la plus étoffée de la publication, est en rapport à une étude préclinique couvrant plusieurs aspects. Tout d’abord une partie pharmacocinétique sur la souris nude qui révèle une capacité de l’ada à inhiber la P glycoproteine qui est une pompe moléculaire bien connue qui évacue les xénobiotiques , en particulier au niveau de la barrière hémato encéphalique .En utilisant des concentrations d’ada clinico -compatibles et en administration orale chez la souris nude les auteurs ont montré que les concentrations d’ada dans le LCR restaient pendant 8 h à des niveaux supérieurs à la CI50 .Au plan de l’effet antitumoral les auteurs ont mis en évidence une disparition quasi complète des métastases cérébrales avec un schéma de dose compatible avec l’utilisation clinique du produit. Ces résultats d’efficacité étaient confirmés sur la base d’un modèle de xénogreffe de cellules tumorales en intracrânien.
Enfin la 3ième partie de l’étude mettait la lumière sur deux patients en particulier et inclus dans l’essai KRYSTAL-1( NSCLC métastatiques traités à la dose de 600mg , 2 prises par jour) .Des mesures de concentration d’ada dans le LCR indiquaient des expositions au médicament supérieures à la CI50 le tout corroboré , pour les deux patients ,par une efficacité anti tumorale remarquable vis-à-vis des métastases cérébrales en place.
Commentaires :
Les auteurs ont su insister, preuves épidémiologiques à l’appui, sur l’incidence élevée de métastases cérébrales chez les patients NSCLC porteurs d’une mutation KRAS G12C.
C’est une base solide à leur étude supportant l’intérêt de l’ada comme arme thérapeutique dans cette situation clinique spécifique. A noter que la valeur rapportée par les auteurs sur le pourcentage de patients NSCLC mutés KRAS G12C est largement surestimée ici et la plupart des travaux dans le domaine donnent 14% pour les G12C et 4% pour les G12D, ce qui relativise quelque peu l’étendue de l’application potentielle de l’ada dans le NSCLC. Il n’en demeure pas moins que les arguments expérimentaux apportés par les auteurs sont intéressants avec des concentrations dans le LCR supérieures à la CI50 du produit ( confirmé en situation thérapeutique pour les deux « case reports ») et aussi cette capacité démontrée à inhiber la P glycoproteine , argument pharmacocinétique allant dans le sens d’un passage méningé significatif de l’ada.
Au total cette étude renforce la notion d’efficacité thérapeutique des anti RAS G12C dans le NSCLC ayant conduit les autorités de sante à donner rapidement un accord de commercialisation ( pour le sotorasib). En restant dans la sphère des métastases cérébrales du NSCLC ,cette étude devrait stimuler d’autres investigations telles que , par exemple, des associations avec la radiothérapie sur des bases précliniques à prolongement concret chez le patient.