Voici un bel article récent , bien consistant, paru dans Lancet, qui n’a pu qu’attirer mon attention. Il s’agit en effet de la preuve de la faisabilité d’un traitement médical à la carte en se basant sur les caractéristiques génétiques germinales du patient et du bénéfice que l’on peut en tirer en matière de toxicité épargnée. C’est ici la publication d’une très grosse et importante étude financée par l’opération internationale H2020 et couvrant un total de près de 42 000 patients sur 7 pays de la communauté européenne, et impliquant pharmacies de ville et pharmacies hospitalières.
Prédisposition génétique et traitement à la carte, ce serait possible auprès de votre pharmacien
A 12-gene pharmacogenetic panel to prevent adverse drug reactions : an open-label, multicentre, controlled, cluster-randomized crossover implementation study.
Swen J et al. Lancet 2023 ( 401), feb 4 : 347-356
Bases de l’étude :
Les polymorphismes germinaux sont largement connus dès les années 50 comme révélateurs du caractère héréditaire de réponses anormales à certains médicaments .On pense en particulier aux polymorphismes des gènes de la glucose 6 phosphate déshydrogénase tout comme celui de la N acetyl-transférase. Plus tard , de nombreux polymorphismes des gènes des cytochrome P450, responsables du métabolisme de beaucoup de médicaments , ont pu être mis en évidence. Ainsi ,à l’heure actuelle, on est capable de corréler génotype et efficacité ou toxicité pour de nombreux traitements médicamenteux. Cependant, l’impact pratique de la prise en compte, au plan individuel, des polymorphismes germinaux qui gouvernent nos capacités à réagir globalement aux traitements médicaux n’a jamais vraiment été analysée sur des bases scientifiques rigoureuses . C’est dans cet esprit que l’équipe qui a produit cet article récemment paru dans la revue Lancet a conduit son étude exemplaire , de vraie vie, sur plusieurs milliers de sujets et sur une base prospective ,multicentrique européenne et contrôlée. Le consortium mis en place a pu bénéficier d’un important budget provenant de l’initiative européenne H2020 , très sélective tout autant que généreusement dotée .
Sujets et méthodes :
Il s’agit d’une étude ouverte ( etude PREPARE) , multicentrique, contrôlée, impliquant des participants de 7 pays européens et couvrant au total 28 pharmacie hospitalières ou de ville. Les promoteurs sont néerlandais et ont mis en place un consortium dédié à l’etude .Les patients âgés de 18 ans et plus recevaient tous une première prescription pour un médicament référencé dans les recommandations du Groupe de Travail en Pharmacogénétique ,coordonné par les néerlandais ,le DPWG .Ce médicament devait obligatoirement avoir un écho dans le DPWG comme étant soumis à une influence pharmacogénétique connue. Le panel de gènes et polymorphismes représentait 50 variants pour 12 gènes connus comme impactant le devenir de médicaments .
En pratique, l’étude prévoyait l’installation d’un coordonnateur facilitateur auprès de chaque centre investigateur. Un tirage au sort attribuait à chaque centre une affectation à l’étude soit comme investigateur soit comme contrôle avec un cross over entre les affectations par centre au bout de 19 mois et ce sur un autre groupe de patients . Au recrutement dans l’étude les sujets du groupe investigateur étaient génotypés et les résultats transmis à un centre régulateur sous 7 jours qui affectait ensuite au sujet une carte munie d’un code barre décrivant son statut génétique en rapport à l’étude. C’est cette carte même qui permettait la délivrance ou non délivrance d’un traitement lors de la présentation du sujet en pharmacie qui interrogeait ,avec lecture de la carte ,le central électronique gestionnaire formaté en rapport aux recommandations du DPWG. Les sujets des centres investigateurs se voyaient ainsi proposer un traitement adapté aux recommandations issues du DPWG s’ils présentaient un variant à risque . C’était la réaction secondaire la plus sévère qui était prise en compte au cas où il y en aurait plusieurs. A noter que les sujets du groupe contrôle étaient eux aussi génotypés mais en fin d’étude.
Les sujets étaient tous évalués à 12 semaines après la prise du médicament et les éventuels effets secondaires négatifs étaient enregistrés.
Résultats :
L’étude a débuté en 2017 et a duré 3 ans. Plus de 40 000 patients au total ont été présélectionnés pour au final 6944 patients inclus dont 48.1 % dans le groupe à l’étude ( traitement guidé par les caractéristiques génétiques sélectionnées, 50 variants pour 12 gènes d’intérêt ) et 51.9 % dans le groupe contrôle.
Un pourcentage de 25.2 représentait les patients ayant au moins un variant actionnable ( une caractéristique génétique impliquant une action adaptée vis-à-vis du médicament prescrit et ce en accord avec les recommandations du DPWG. Le gène CYP2D6 était le plus impliqué dans ce recensement ( 44%) alors que le HLA-B57 :01 l’était le moins ( 4.1%).Pour les médicaments indexés on trouvait pour les plus concernés la statine atorvastatine ( 204 cas ) , l’antalgique fort tramadol ( 183 cas) et l’antiagrégant plaquettaire clopidogrel ( 172 cas) .
Soixante-dix pour cent des médecins et pharmaciens de l’étude étaient en accord avec les recommandations issues du DPWG au regard des caractéristiques génétiques des patients de l’étude. Un total d’évènements indésirables significatifs à 3096 était rapporté pour 1563 patients.
Il y avait 21 % d’évènements indésirables significatifs pour les patients du groupe étude et 28 % dans le groupe contrôle , ce qui donnait une réduction de 30% à mettre à l’actif de l’intervention basée sur la connaissance génétique ciblée .A noter que le cross over des centres donnait le même pourcentage d’efficacité.
Enfin et de manière assez surprenante si l’on comparait tous les patients du groupe étude ( avec ou sans variant actionnable) à tous les patients du groupe contrôle on aboutissait au même impact bénéficiaire soit 30 % de réactions secondaires en moins au profit du groupe étude.
Commentaires :
Il s’agit ici d’une étude qui augure de ce que pourrait être l’avenir de la prescription grand public des médicaments. La montée en puissance des test génétiques quant à la leur réalisation automatisée, standardisée , au coût maîtrisé rend effectivement possible la mise en place d’un profil individuel génétique de risque par rapport aux principaux variants génétiques connus associées à des effets secondaires parfois sévères au décours de prises de médicaments tels que les antalgiques, les dérivés de statine ou encore les antiagrégants plaquettaires ou autres. Cette carte munie d’un code barre personnalisé comme cela a été le cas dans cette étude préfigure d’une future carte vitale qui aurait vraiment ce sens.
Cette étude pose cependant un certain nombre de questions, en particulier le fait que le bénéfice de l’identification-action vis-à-vis d’un variant à risque pour le médicament en regard eut été de 30% par rapport au groupe contrôle et surtout que ce bénéfice se retrouve si l’on compare les 2 groupes pour tous les sujets. Une explication à cela pourrait être que le groupe des patients à l’étude faisait l’objet d’une attention plus poussée que celle portée au groupe contrôle. Une autre limite et d’importance était que seul un médicament était considéré dans l’analyse même si le sujet en prenait plusieurs. Il est certain que le prolongement et l’affinement des conclusions de cette étude doivent se voir dans une future exploration basée sur la poly médication et l’analyse de l’influence de plusieurs polymorphismes de gènes à risque. Enfin, et les auteurs l’anticipent, une analyse medico-économique a toute sa place, voire est nécessaire, pour parfaire les conclusions de cette intéressante et innovante étude.