Prise de doliprane et au revoir l’efficacité de l’immunothérapie ?
Impact of acetaminophen on the efficacy of immunotherapy in cancer patients
Bessede A et al. Annals of Oncology 33(9) :909 ,2022
The deleterious effect of acetaminophen in cancer immunotherapy
Berraondo P and Sullivan RJ Annals of Oncology 33(9) :855, 2022
Bases de l’etude:
La recherche incessante de facteurs associés à une moindre efficacité de l’immunothérapie a abouti à constituer une boîte à outils où le même instrument( facteur prédictif) n’a pas la même utilité selon le contexte de son utilisation et c’est le cas du marquage PD-L1 , de la charge mutationnelle, de l’instabilité micro satellitaire et autres. C’est probablement habités par le même état d’esprit que les auteurs de cet article nous ont délivré un message non anodin : que la prise de paracetamol peut compromettre l’efficacité des inhibiteurs du check point. Comment en sont-ils arrivés –là ? Il y a au minimum 2 explications possibles . La première est celle d’une exploitation serrée d’une banque de données biologiques issues d’essais thérapeutiques à large échelle où l’on tente de discriminer les groupes répondeurs des non répondeurs par le screening large sans a priori sur la base de méthodes d’identification de composés biochimiques telles que la métabolique et de tomber fortuitement sur l’identification de facteurs discriminants . La seconde, celle adoptée par les auteurs ( ce qui n’exclut pas du tout que le facteur incitatif réel ne fut pas la résultante de la démarche précédente) , est de monter un scénario biologiquement plausible et de construire une étude , le plus souvent rétrospective ( et c’est le cas) sur un rationnel satisfaisant. Quel est-il ici ? Les auteurs considèrent , à juste titre , que la prise de paracetamol est largement de mise et relativement banale dans le déroulement de la prise en charge de la pathologie cancéreuse . Cependant le paracétamol n’est pas neutre par rapport à la fonction immune ( on le sait bien par rapport à la fonction hépatique) et les auteurs nous rappellent des résultats d’études expérimentales indiquant que cet antalgique impacte sur la capacité de prolifération des cellules immunes et de la réponse immunitaire médiée par les lymphos T. Les auteurs font aussi référence à des études cliniques révélant une moindre efficacité vaccinale pour des sujets sous paracetamol et les recommandations officielles de l’OMS en 2015 et dans ce contexte précis. C’est donc sur ces bases que les auteurs sont allés rechercher un lien ou pas entre la présence dans le sang de métabolites du paracetamol ou le principe actif même et l’efficacité des inhibiteurs du point de contrôle (CPIs) en disposant des recueils d’échantillons issus de 3 essais thérapeutiques.
Methodes :
Il y a donc trois essais thérapeutiques d’utilisation des CPIs exploités rétrospectivement dans cette etude ( forte dominante du cancer du poumon à près de 40 % du total) : l’essai BMS CheckMate 025 et deux essais institutionnels , l’essai BIP du CLCC de Bordeaux et l’essai PREMIS de l’IGR d’où le montage des co-auteurs. Les auteurs ont déployer une lourde armada pour arriver à leurs fins : métabolomique et proteomique plasmatique, analyse chromatographique avec détection en spectrographie de masse ,profilage des PBMC, analyse immunologiques in vitro ( prolifération de PBMC d’origine humaine) , études sur l’animal de laboratoire.
Resultats :
Le point de départ a été l’accès à des données partagées de l’essai CheckMate 025 , très précisément des résultats d’analyses de métabolomique sur des plasma ( dont on ne sait rien du moment où ils ont été prélevés par rapport à l’exposition thérapeutique par CPIs) , résultats qui montrent que la survie globale était moindre pour des patients porteurs de concentrations mesurables de paracétamol et métabolites .Cette information a motivé les auteurs à interroger leurs propres bases de données biologiques sur deux essais respectifs CLCC Bordeaux et IGR et qui ont permis de confirmer que les patients avec des taux de base mesurables en paracétamol et métabolites étaient des moins bons répondeurs aux CPIs et bénéficiaient moins bien du traitement en terme de survie ( intervalle libre et globale) . Ces analyses ont été rigoureusement exploitées au plan statistique avec une indépendance de l’impact de la prise de paracétamol par rapport à la LDH , à la présence ou pas de métastases hépatique et de l’index d’état général.
Dans un deuxième temps les auteurs ont cherché à renforcer la portée de leurs observations et les conclusions qui en découlent en menant deux types d’investigations.
Tout d’abord pré-cliniques sur un modèle souris traitées par CPIs plus paracetamol et la preuve que l’antalgique influençait négativement l’effet antimoral des CPIs ( accroissement marqué des lymphocytes T régulateurs ). Sur une base clinique , expérimentale ,les auteurs ont encore plus apporté d’éléments explicatifs en montrant que la prise de paracétamol chez le volontaire sain ( 4 doses en 24h) suffisait à élever significativement le niveau des T Regs .
Commentaires :
Il est certain que ces résultats mis bout à bout font un peu l’effet d’un pavé dans la mare tant la prise d’antalgiques est relativement banale au cours de la prise en charge thérapeutique du cancer et l’editorial associé à cet article insiste sur ce point. Plusieurs remarques cependant. La première est en rapport à la non qualification des échantillons biologiques exploités en ce qui concerne le moment de la mesure des concentrations de paracétamol par rapport à la prise de CPIs , de plus on ignore totalement la durée de l’exposition des patients au paracétamol ni sur le fait que le paracétamol pourrait être ou pas associé à des opioides ( ce qui peut changer énormément l’impact sur la fonction immune). Ce questionnement se prolonge au plan des données expérimentales et plus précisément les conditions d’exposition au paracétamol avec des concentrations appliquées ( de l’ordre du micromole par litre) totalement hors de proportion par rapport à celles que l’on connaît d’après la pharmacocinétique du paracétamol ( plus de 10 fois la valeur du pic à la prise) .Enfin , et l’éditorial insiste fortement sur ce point , il peut y avoir un biais d’interprétation avec un facteur de confusion majeur qui pourrait être celui des maladies intrinsèquement plus évolutives qui nécessitent un support en antalgiques .
L’interprétation des données par les auteurs est également faible en rapport aux bases mécanistiques pouvant expliquer l’impact du paracétamol ou des métabolites sur la fonction immune. Faiblesse remarquablement comblée par l’éditorial qui nous informe que le paracétamol est métabolisé en N-acylphenolamine , synthétisé au niveau du SNC par une amide hydrolase. Ce métabolite a été montré comme étant capable d’inhiber l’activation des T-lymphocytes .
Au final un article qui nous force à réfléchir , qui aiguise notre esprit critique et qui mérite de ne pas laisser l’information délivrée, d’importance incontestable, finir en lettre morte .
Il allonge la longue liste des corticoïdes, des inhibiteurs de pompe à protons, des antibiotiques avec ici la présence des antalgiques dont il faut se méfier pour une interférence négative potentielle avec les CPIs.