Voici un article récent publié dans Cancer Research qui s’attache à examiner la radiorésistance des cancers de la sphère ORL.
C’est intéressant car ce travail révèle un mécanisme nouveau lié à un dérèglement de la population des cellules immunes du microenvironnement tumoral sous l’effet de mutations tumorales du gène NFE2L2 codant pour la proteine Nrf2. Le rôle de cette protéine, impliquée dans la réponse au stress oxydatif, est bien connu comme facteur intrinsèque de radiorésistance. Mais ici les auteurs ont voulu aller plus loin dans l’exploration des mécanismes de radiorésistance générés par les mutations du gène NFE2L2 et leurs investigations ont abouti à la découverte de l’implication d’un dérèglement de l’homéostasie intratumorale des cellules myéloïdes associée à une diminution de la population tumorale de macrophages.
D’avance merci pour l’attention portée à cette analyse de synthèse.
Un mécanisme de radiorésistance inédit lié à un dérèglement de l’immunité tumorale provoqué par les mutations de NFE2L2.
NFE2L2 mutations enhance radioresistance in head and neck cancer by modulating intratumoral myeloid cells
Guan L et al. , Cancer Research 2023 ;83 :861-74
Bases de l’etude :
La radiothérapie (RT) est un des éléments de base du traitement des cancers de la sphère ORL . Cependant la RT des cancers ORL n’est pas à l’abri d’échecs thérapeutiques souvent liés à des phénomènes de radiorésistance difficilement prévisibles. C’est dans cet esprit de générer une meilleure connaissance en ce domaine qu’une équipe multicentrique nord-américaine orchestrée par un groupe de radiobiologistes de la prestigieuse université de Stanford s’est attaquée à la question et ce sous l’angle de la connaissance génomique, en l’occurrence le profil de mutations décrit dans les cancers ORL et accessible à la connaissance dans le Cancer Genome Atlas. Parmi ces mutations, l’attention des auteurs s’est portée sur la voie KEAP1/NFE2L2 qui concerne un pourcentage significatif de 6 à 15% des cancers ORL.
Ce fut une démarche gratifiante car ce travail a permis de révéler un mécanisme nouveau lié à un dérèglement de la population des cellules immunes du microenvironnement tumoral sous l’effet de mutations tumorales du gène NFE2L2 codant pour la proteine Nrf2. Le rôle de cette protéine, impliquée dans la réponse au stress oxydatif, est connu comme facteur intrinsèque de radiorésistance. Ici , originalité de l’étude, les auteurs ont voulu aller plus loin dans l’exploration des mécanismes de radiorésistance générés par les mutations du gène NFE2L2 et leurs investigations ont abouti à la découverte de l’implication d’un dérèglement de l’homéostasie intratumorale des cellules myéloïdes associée à une diminution de la population tumorale de macrophages. Les auteurs ont mené des investigations in vitro et in vivo sur l’animal de laboratoire et surtout ont pu mettre en avant l’utilisation d’ un composé de synthèse , un futur médicament qui permettrait peut-être de corriger la radioresistance générée par la présence de ces mutations NFE2L2.
Principaux résultats :
Dans un premier temps d’investigation ,les auteurs ont exploré par analyse génomique tumorale ( NGS ciblée panel 325 gènes ) une série de 75 échantillons tumoraux de patients avec cancer ORL limités à la cavité orale ( tous en traitement adjuvant radiotherapie-chimiotherapie standard) donnant lieu à la découverte, pour 55 d’entre eux , d’au moins une mutation somatique .Parmi les mutations les plus fréquentes, sans surprise par rapport aux mutations déjà rapportées dans des grandes séries antérieures, sont ressortis p53(53%),PIK3CA (12%) et parmi 4 autres gènes dont la fréquence allélique mutée était supérieure à 5 % (seuil fixé ), il y avait le gène NFE2L2.Les auteurs ont analysé de plus près ces mutations NFE2L2 car il a été rapporté un lien entre cette mutation et la radiorésistance . Ainsi, la mutation la plus fréquente au sein de ce gène était celle touchant le codon 79 ( substitution de l’acide glutamique par une lysine ) : E79Q.
Alors que ni les mutations p53, ni celles affectant la voie PIK3CA impactaient significativement le devenir des patients, les auteurs ont noté un lien significatif entre une évolution défavorable ( reprise évolutive locorégionale) et la présence de mutations NFE2L2 (HR 3.07,2.25-7.63,p inf .001) ; à noter qu’une analyse de Cox ne donnait en facteur pronostique que les mutations de ce gène, les autres facteurs analysés ( T, N, âge, tabac, genre) ne ressortant pas significativement. Avec un recul de 5 ans, 80% des patients mutés sur ce gène étaient en échec alors que 32 % seulement l’étaient pour les non –mutés (p=.007). Cependant la présence des mutations NFE2L2 ne pesait pas sur la survie globale des patients.
Les auteurs ont en parallèle analysé une série de 60 patients avec cancer ORL, cavité orale, traités par chirurgie uniquement et dans ce cas les mutations NFE2L2 n’avaient aucune influence sur la durée de l’intervalle libre , laissant dire aux auteurs que cette mutation avait davantage une valeur prédictive pour la radio -chimiothérapie des cancers ORL plutôt qu’un intérêt au plan pronostique pur.
Les auteurs en recherche de mécanismes explicatifs, se sont tournés vers des modèles cellulaires adaptés ( lignées de cancer ORL génétiquement modifiées) afin de mieux comprendre l’impact des mutations NFE2L2 en position E79Q et la radiosensibilité. L’inactivation du gène NFE2L2 aboutissait à une radiorésistance marquée et essentiellement liée à une perte de capacité à générer des radicaux libres .D’où l’hypothèse que la présence des mutations NFE2L2 en E79Q seraient de nature à inhiber la voie médiée par la protéine Nrf2 ( produit du gène NFE2L2) qui contribue à générer les radicaux libres sous RT et de la pouvant entraîner une relative radiorésistance. Hypothèse gagnante et vérifiée en comparant les conséquences physico chimiques induites sous RT pour une lignée mutée E 79Q donnant moins de radicaux libres et relativement plus radiorésistante en comparaison à la lignée sauvage non mutée. De plus les auteurs ont pu mettre en évidence que l’expression de gènes antioxydants était accrue dans les lignées mutées NFE2L2 en E79Q.
Poussant leurs investigations au niveau d’un modèle animal, les auteurs ont fait le constat surprenant d’une plus grande radiorésistance des tumeurs NFE2L2 mutées chez la souris immunocompétente par rapport à l’animal immunodéprimé. Comparant par conséquent les compositions en cellules immunes des tumeurs xénogreffées de type muté NFE2L2 ou sauvage , les auteurs ont noté un recrutement accru en cellules myéloïdes immuno suppressives et une diminution en macrophages polarisés de type M1 dans les tumeurs radioresistantes mutées NFE2L2.Cette différence pouvait s’expliquer en partie par le fait que la voie de l’interleukine Il17 était significativement augmentée sous l’effet de l’application de la radiotherapie dans des cellules mutées , ce qui conduisait à une production accrue de cytokines incluant CXCL1,CXCL3 et les CSF 2 et 3 , facteurs favorisant le recrutement de cellules myéloïdes immunosupressives. Etape suivante, les auteurs ont eu recours au composé CB-839 , inhibiteur de glutaminase , justifiant son utilisation par le fait que les cellules mutées NFE2L2 ont des besoins métaboliques accrus et sont particulièrement sensibles au CB-839. Il ressortait que l’application du CB-839 augmentait la radiosensibilité des cellules mutées NFE2L2 et dans une moindre mesure celle des cellules sauvages.
Commentaires :
Les auteurs reconnaissent avoir focalisé leur étude sur la localisation cavité orale au moins pour deux raisons, la première est l’accès au matériel tumoral et la seconde est la relative absence de l’impact HPV dans cette sous -localisation de cancers ORL éliminant ainsi un facteur de variabilité impactant sur l’évolution de la maladie.
Cette étude pointe sur un double impact des mutations NFE2L2 dans les cancers ORL ,dont la fréquence autour de 10% selon les études , est loin d’être négligeable et constitue une vraie niche à l’ère de la thérapie guidée par la génomique . Le premier impact est la confirmation expérimentale du développement d’une radiorésistance intrinsèque , médiée par une modulation par la protéine NRF2 impactée directement par la mutation NFE2L2 en E79Q par perte d’activation de la voie des radicaux libres générés sous RT et du stress oxydatif en rapport. Originalité du travail, les auteurs découvrent une voie de radiorésistance extrinsèque additionnelle caractérisée par l’incorporation de cellules myéloïdes immunosuppressives par défaut d’activation des cellules T. Complément intéressant dans leur grosse étude, les auteurs ont pu mettre en évidence la capacité du composé CB-839 , inhibiteur du métabolisme de la glutamine, à abolir la radiorésistance instaurée par la mutation NFE2L2 en E79Q . A noter que ce composé est actuellement en étude clinique, associé à la radiothérapie dans les gliomes et les cancers du poumon évolutifs ( NCT 04265534) . C’est donc un travail très original qui se poursuit sous un angle thérapeutique, schéma idéal pour ce type d’étude translationnelle.