Voici un article récent du Clin Cancer Res situé sur la crête préclinique-clinique et qui concerne l’utilisation des inhibiteurs de RAF muté dans le mélanome avec en arrière-plan, le problème constant de l’extension métastatique cérébrale posé dans cette localisation. Il s’agit ici d’un composé nouveau Roche , de la famille des « paradox breakers », molécules inhibitrices de B RAF muté qui s’affranchissent de la nécessité d’associer un inhibiteur de MEK car il n’y a pas d’activation paradoxale générée par ce type de composé dans les cellules épidermoïdes saines ( d’où l’expression paradox breaker qui les qualifie) . Ce composé Roche est doté d’une excellente capacité à franchir la barrière hémato encéphalique. L’arrivée en clinique de ce nouveau membre au sein de la famille d’inhibiteurs de BRAF sera sans aucun doute d’un apport significatif , en particulier dans la prise en charge des métastases cérébrales du mélanome malin.
Une percée remarquable, un » paradox breaker « au sein des inhibiteurs de BRAF muté
Preclinical characterisation of a next–generation brain permeable, paradox breaker BRAF inhibitor
Wichman J. et al;, Clin Cancer Res 2022, 28 :770-80
Bases de l’etude : la présence de mutations RAF est une caractéristique oncogénique particulièrement fréquente dans les mélanomes malins ( autour de 40 % ,en particulier la mutation V600E). Cette caractéristique a conduit au développement d’inhibiteurs de kinase efficaces visant BRAF V600E avec 3 molécules actuellement sur le marché .Très vite, la survenue quasi constante de néoplasies cutanées consécutives à l’application des BRAFi seuls a conduit à l’évidence moléculaire que les BRAF i avaient la capacité de provoquer une accélération de signalisation BRAF ( sous forme de dimères ) dans les tissus sains sous la dépendance de la voie REGF ( épiderme cutané en particulier). Une parade efficace a été rapidement trouvée à ce dérèglement de signalisation induit par les BRAFi dans les tissus épidermoïdes : l’ajout d’un inhibiteur de MEK. Cependant le tandem RAFi-MEKi n’est pas dépourvu d’effets secondaires du fait du cumul de cibles non spécifiques et de la capacité à générer des mécanismes de résistance par des voies de signalisation intracellulaire de contournement. Une alternative serait donc de se passer de l’ajout du MEKi. C’est ,guidé par cet objectif , que le laboratoire Roche a développé un paradox breaker , c’est à dire une molécule ciblant BRAF et sans effet sur la signalisation normale de RAF . Ce composé est doté de plus d’une excellente capacité à franchir la barrière hémato encéphalique et constitue de ce fait une molécule potentiellement très efficace vis-à-vis des métastases cérébrales de mélanomes malins.
Methodes : l’etude preclinique comporte les deux pans classiques à savoir une partie in vitro( panel de lignées tumorales mutées BRAF V 600 E) et une partie sur la souris en modèle xenogreffe de croissance tumorale . Le modèle d’invasion cérébrale était créé par infection intra carotidienne d’une lignée cellulaire tumorale origine mélanome .En complément une etude pharmacocinétique comparative a été conduite sur le rat avec prélèvements de LCR. Enfin des prélèvements tumoraux provenant d’une bio banque ont permis de compléter les investigations comparatives. Les composés comparés étaient des BRAFi connus et appliqués en clinique ( Dabrafenib, encorafenib ) face au composé nouveau développé par Roche .
Résultats : La structure moléculaire du composé Roche « paradox breaker » ( PB, composé 1a) ) est celle d’un analogue d’ATP de conception nouvelle visant à optimiser le franchissement de la barrière hémato encéphalique ( en particulier grâce à son faible poids moléculaire en comparaison aux concurrents) et d’éviter l’écueil d’une stimulation de la voie MAPkinase dans des cellules RAF type sauvage . L’affinité du PB pour sa cible BRAF V 600 E était très forte avec un Kd de l’ordre du nmolaire ( 1.2 nmol/L). En comparaison à l’encorafénib et au dabrafénib ( BRAFi en utilisation clinique) capables d’induire une activation paradoxale constante de la voie MAP kinase sur un panel de lignées RAF sauvage, le composé PB était dépourvu d’une telle capacité délétère .En particulier sur la lignée HCT 116 RAF sauvage, l’accroissement des doses des 2 BRAFi induisait une augmentation constante de ERK phosphorylé ( activation fonctionnelle du dernier maillon de la voie de signalisation MAP kinase) alors qu’il n’en était rien pour le composé PB à l’etude.
L’administration orale du PB chez l’animal a révélé des caractéristiques pharmacocinétiques favorables ( excellente absorption orale et faible clairance plasmatique ). En situation de xénogreffe tumorale sur l’animal et sous traitement par BRAFi, le composé PB a montré une capacité supérieure au dabrafénib et à l’oncorafénib pour inhiber la voie cible de signalisation RAF ( voie MAPKinase, marqueur phospho ERK). Cette supériorité d’efficacité moléculaire du PB par rapport aux 2 autres BRAFi de référence était confirmée au plan anti tumoral sur différents modèles de xénogreffes BRAF mutées. Enfin sur des xénogreffes dérivées directement de mélanomes , les auteurs rapportaient une activité anti tumorale forte du PB égalée par l’oncorafénib mais appliquée pour ce dernier à une dose double en comparaison à celle utilisée pour le PB.
Le composé PB a été développé dans le but d’offrir un outil thérapeutique visant BRAF V600E et efficace dans le cadre du développement de métastases cérébrales de mélanomes. Dans cet esprit les auteurs ont apporté la preuve que le PB était insensible à la surexpression de la P Glycoprotéine(PGP) qui est un élément majeur du contrôle de la barrière hémato encéphalique alors que le dabrafénib et l’encorafénib etaient sensibles à la PGP ( modèle in vitro de cellules endothéliales surexprimant la PGP). Des expériences pharmacocinétiques ( dosage concentrations CSF) confirment cet avantage du PB sur les 2 autres BRAF i. Enfin sur la base de tumeurs mélaniques xénogreffées dans l’encéphale de rat, la notion de supériorité thérapeutique ( régression tumorale métastatique cérébrale) du composé PB par rapport à ses 2 congénères a été établie.
Commentaires :
Le domaine des inhibiteurs de BRAF muté V600E ne doit pas se borner aux composés actuellement sur le marché . Bien qu’incontestablement actifs , ils présentent tous l’inconvénient majeur d’une activation paradoxale de la voie MAP Kinase dans les cellules normales exprimant le REGF( cellules épithéliales) qui est susceptible de générer des tumeurs cutanées . De ce fait une association avec un inhibiteur de la voie MAP Kinase ( un MEK i en l'occurrence) s’est révélée indispensable en particulier pour le mélanome. Les paradox breakers sont des composés de cette famille mais qui sont dépourvus de cette capacité d’activer la voie MAP Kinase des cellules saines. Dans cet esprit le composé PB PLX8394 a apporté des éléments précliniques très prometteurs mais son développement clinique n’est pas garanti actuellement. Incontestablement le composé Roche PB ici à l’étude génère des éléments de preuve d’activité antitumorale supérieure aux 2 protagonistes anti BRAF connus. De plus ses caractéristiques pharmacocinétiques remarquables offrent un potentiel thérapeutique vis-à-vis de l’extension métastatique cérébrale du mélanome, avantage clairement mis ici en évidence . Il ne reste plus qu’à attendre les résultats des essais cliniques en cours pour se faire une idée de l’avenir de ce composé comme médicament innovant dans la prise en charge des cancers mutés BRAF V600E.